Notes de lecture. Alexander Schmemann, Vous tous qui avez soif. Entretiens spirituels

Mise en ligne de La rédaction, le 22 janvier 2011.

Alexander Schmemann, Vous tous qui avez soif. Entretiens spirituels, Paris, YMCA-Press/François-Xavier de Guibert, 2005

Par André Désilets

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 30 / HIVER 2010-2011 ]

Alexander Schmemann

Après avoir lu les entretiens spirituels du père Alexandre Schmemann (1921-1983), je comprends mieux ce qu’écrivait Soljénitsyne dans une lettre à son ami Nikita Struve : « Cela faisait longtemps qu’avec un grand plaisir spirituel j’écoutais sur Radio Liberty […] les prédications du “docteur en philosophie, le père Alexandre” (prédications diffusées à l’intention des auditeurs d’URSS), et je m’étonnais à quel point son art de prédicateur était authentique, actuel et élevé : pas une seule fausse note, pas une once d’emphase, aucune vaine concession aux contraintes du genre, au rituel, quand l’auditeur commence à éprouver un sentiment de gêne, voire de honte vis-à-vis du prédicateur ou de soi-même, toujours une pensée forte et profonde, un sentiment profond ».

C’est à Nikita Struve que nous devons la publication de ce choix d’entretiens d’Alexandre Schmemann, mais aussi de son Journal personnel (Éditions des Syrtes, 2009), une œuvre écrite à l’insu de ses proches pendant les dix dernières années de sa vie, et qui rappelle que le drame de la pensée moderne réside avant tout dans son orgueilleuse superficialité. Car jamais, dans le cours de l’histoire, n’a été niée à ce point l’aptitude de l’intelligence à nous dire quelque chose de valide sur les réalités fondamentales de l’existence humaine, sur les conditions d’exercice de la liberté, sur l’attitude devant l’amour, devant la mort. De sorte que nous baignons dans un climat d’inconsistance intellectuelle incomparable, un climat qui, indéniablement, favorise l’éclosion de « nouvelles barbaries » (Edgar Morin), sans oublier ce « crime contre l’esprit » dont on ne comprend plus la signification : la perte de ce qui fait l’humanité même.

Or le père Schmemann, historien et théologien orthodoxe, répond avec vigueur aux idéologues de notre temps, ces théoriciens de l’athéisme dont la seule avenue consiste à faire l’« apologie du cimetière, de la vermine qui se nourrit de cadavres ». « Dieu est mort, mais la mort est Dieu », observe André Glucksmann dans ses cogitations sur Heidegger, professeur et nazi, paradoxalement chéri par les grandes universités du monde ! Ainsi, si la mort est inconcevable, dira par ailleurs Vladimir Jankélévitch, « elle est du moins incontestable ». Oublions donc toutes ces histoires sur le Christ, la Vérité, l’Église, la Foi et autres fabulations dont on nous casse les oreilles depuis des siècles et optons enfin pour la seule perspective qui vaille, celle qui consiste à être un rouage efficace « dans l’édification d’une vie irrémédiablement privée de toute forme de quête ». Comme si nous pouvions nier la question religieuse, la recherche métaphysique au profit de considérations économiques ou politiques sans tricher, sans mentir sur l’essentiel… et sans répéter avec Tchékhov : « Résigne-toi, mon cœur, dors de ton sommeil de brute ».

Pour Alexandre Schmemann, « l’horreur de ce monde […], c’est que non seulement le mal y règne, mais qu’il essaye de se faire passer pour le bien; il se cache toujours derrière le masque de la bonté. Cette caution solidaire du mal domine le monde : au nom du bien, de la liberté, de la sollicitude envers l’homme […], on asservit, on assassine ».

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