Visions ailées

Mise en ligne de La rédaction, le 27 mars 2023.

PAR FRANCIS THOMPSON

Francis Thompson (1859-1907), morphinomane et sans-abri, est l’un des plus grands poètes de langue anglaise du XIXe siècle. C’était l’avis de G.K. Chesterton, de Valery Larbaud, de Charles Du Bos et de Paul Claudel, pour ne nommer qu’eux, mais aussi de son traducteur Patrick Dionne. Thompson a perpétué la tradition, par malheur interrompue au XVIIIe siècle, de la poésie métaphysique des John Donne (1572-1631) et Richard Crashaw (1612-1649), à qui on l’a souvent comparé. Plus et mieux qu’eux, ce poète immensément doué a pu réconcilier « les propositions de la Foi et ces puissances d’imagination et de sensibilité qui sont éminemment celles de l’artiste ». Ces derniers mots sont de Paul Claudel. Selon lui, « c’est pour avoir tenu en mépris une partie de l’œuvre de Dieu, ces nobles facultés qui sont l’imagination et la sensibilité auxquelles certains fous auraient voulu ajouter la raison elle-même, que la religion vient de traverser la longue crise dont elle commence à peine à sortir ». Claudel se montre, dans sa conclusion, par trop optimiste. La crise est loin d’être terminée. Ce vaste mouvement poétique de réconciliation entre la foi et le cœur qu’ont illustré Coventry Patmore, Paul Verlaine, Francis Thompson, Paul Claudel lui-même, s’est atrophié.

La « dissociation de la sensibilité », pour reprendre une notion centrale dans l’œuvre critique de T.S. Eliot, n’a pas épargné l’évolution poétique ni même, par malheur, liturgique. Quel meilleur choix, pour mener à bien ce rude labeur spirituel et poétique, que de se rattacher à l’œuvre de Francis Thompson, dont le « caractère de poésie catholique », « quelque chose comme une cérémonie religieuse », reconnu par Valery Larbaud, peut servir de phare et de guide? Ici qu’on me permette de citer tout au long l’auteur des Poésies de A.O. Barnabooth : « Même les poèmes de nature, chez Francis Thompson, ont quelque chose de la cathédrale, avec ses lumières, ses ors, ses richesses accumulées dans les ombres, sa musique. Et des ciels de vitrail. Et même les mots, les mots anglais qui suggèrent tout cela sont tellement éloignés du langage parlé qu’on hésite à les reconnaître et qu’on se demande par quelle magie ils sont devenus ainsi : somptueux, inaccessibles à toute vulgarité, étranges, comme le latin de la liturgie. Ce n’est que peu à peu qu’on s’habitue à cette ombre, à cette lumière artificielle, et qu’on se familiarise avec ces splendeurs. Et alors, on entend le chant, la simple et pure voix humaine, qui s’élance et ouvre en nous ces “longues savanes de l’azur” et toutes les infinies perspectives de l’“homme intérieur” que nous sommes tous. Un singulier “poète moderne”, vraiment ! qui d’un côté semble se mouvoir aisément dans le monde de Dante et de l’autre rejoint Rimbaud.» La traduction d’un grand poète, quand elle est attentive comme celle de Patrick Dionne à traduire (et non à calquer) les rythmes, la respiration, les intonations de ses chants, constitue une œuvre en soi, une authentique recréation, et, dans ce cas-ci, rien de moins qu’une œuvre de salut métaphysique.

Jean Renaud

  À UN FLOCON DE NEIGE*

 Quel est le cœur qui a songé à toi ? –
 Défié nos conceptions,
 (Ô pétale en filigrane !)
 Pour te créer, si pur,
 Fragile, assuré,
 Métal paradisiaque
 Sans l’imagination,
 Si précieux, à quel coût ?
 Qui t’a façonné, t’a forgé
 Dans la nue argentine ? – (…)

*Traduction de Patrick Dionne.