Le siècle, les hommes, les idées. Pourquoi la peine de mort est légitime et nécessaire (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 22 mai 2021.

par Jean-Louis Harouel

[EXTRAITS DU NUMÉRO 62/PRINTEMPS-ÉTÉ 2021]

L’exécution de Gilles de Rais

L’exécution de Gilles de Rais

Pourquoi la peine de mort est légitime et nécessaire La question de la peine de mort est aujourd’hui un sujet tabou. On n’a plus le droit d’en parler de manière libre, en cherchant à se faire son opinion. On doit se plier à une vérité officielle de nature religieuse: la peine de mort était le mal, son abolition est le bien. Interdiction est faite aux peuples européens de songer le moins du monde à l’idée qu’on puisse rétablir un jour la peine de mort. En inscrivant son abolition totale dans la Convention européenne des droits de l’homme, on a enlevé la question de la peine de mort à la souveraineté des citoyens. Ce faisant, on a non seulement bafoué la démocratie mais encore fait naître un étrange droit de l’homme. Pouvoir tuer sans risquer d’être tué en punition de son crime est aujourd’hui un droit de l’homme. C’est un droit de l’homme immoral qui détruit la confiance dans le pacte social et déshonore l’idée de droit de l’homme.

Même si les origines de l’idéologie abolitionniste remontent à Beccaria, l’un des auteurs qui ont le plus contribué à répandre la phobie de la peine de mort fut Victor Hugo, avec notamment son célèbre roman Le dernier jour d’un condamné (1828). Immense écrivain par ailleurs, Hugo s’y montre un manipulateur sans vergogne: faisant preuve d’une totale désinvolture à l’égard du crime et d’une parfaite insensibilité envers la victime, il ne s’intéresse qu’au seul criminel. Rien n’est dit du crime ni de la victime, et seul celui qui a tué est offert à la commisération du lecteur. Hugo fut le précurseur d’un type d’homme bien particulier : l’intellectuel de gauche abolitionniste, qui affirme que le mal ne provient pas du criminel, qu’il lui est imposé de l’extérieur par des forces sociales. Pour l’intellectuel de gauche abolitionniste, le criminel est en réalité innocent, puisqu’il est la victime de la société. D’après cette idéologie mécaniste, on devient criminel en raison d’un déterminisme social. C’est cette explication causaliste de la délinquance qui a triomphé durant la seconde moitié du XXe siècle dans bien des pays et qui y a entraîné l’abolition de la peine de mort. Or tout cela repose sur une idée fausse. La criminalité n’est pas le résultat mécanique d’un déterminisme social. Certes, il existe des milieux criminogènes, et ceux qui en sont issus ont plus de chances que la moyenne de la population de commettre des délits ou des crimes. Pour autant, la plupart des gens issus de ces milieux ne commettent jamais d’infraction. L’explication causaliste de la délinquance est erronée.

Contrairement aux apparences, le rejet de la peine de mort ne doit rien au christianisme. Le Tu ne tueras pas du Décalogue n’était pas destiné à préserver les criminels de la peine de mort, mais à tâcher d’empêcher les meurtres et les assassinats. Quant à l’Évangile, qui pose le principe de la distinction des deux royaumes – celui des Cieux et celui de la terre –, il ne prive nullement l’autorité publique du pouvoir et du devoir de punir les criminels. De la même façon qu’il invite à respecter les prérogatives fiscales de l’État romain – Rendez à César ce qui est à César –, Jésus s’est abstenu de critiquer ses prérogatives judiciaires et pénales. On cherchera vainement dans l’Évangile une condamnation de la peine de mort. Il est d’autant plus manifeste que le christianisme n’est pour rien dans l’idéologie abolitionniste, que celle-ci s’accompagne d’une valorisation de l’avortement. D’un côté, on se refuse à faire mourir de grands criminels ayant accompli des actions atroces, d’un autre côté on autorise la mise à mort d’êtres innocents en train de se former dans le ventre maternel. La position morale des États d’Europe occidentale qui s’interdisent la peine de mort tout en encourageant et facilitant l’avortement est d’une incohérence ahurissante. Le pays qui rejette la peine de mort se doit de rejeter aussi l’avortement et l’euthanasie.

Bien loin de venir du christianisme, l’idéologie abolitionniste est l’une des facettes d’une religion séculière qui a pris le relais du communisme comme projet universel de salut terrestre: la religion des droits de l’homme. Avec celle-ci, l’ancienne conception des droits de l’homme, pour l’essentiel identifiés aux libertés publiques des citoyens dans les sociétés démocratiques, fait place à une nouvelle conception, marquée par l’obsession de traquer tout ce qui peut être perçu comme une discrimination, ainsi que l’utilisation des droits subjectifs au service d’une expansion illimitée des revendications individuelles.

La religion des droits de l’homme est aujourd’hui la forme la plus répandue de la religion de l’humanité, ou si l’on préfère de l’idéologie progressiste, laquelle provient de deux grandes hérésies falsificatrices du christianisme : la gnose et le millénarisme. Reposant sur la divinisation de l’individualisme, la gnose était porteuse d’une immense charge subversive qui s’est répercutée jusqu’à nous. Quant au millénarisme, il nous a transmis sa promesse de l’avenir radieux auquel on accède par la révolution. Or ces deux hérésies avaient en commun le refus d’admettre que le mal puisse résider en l’homme. Elles professaient que le mal est extérieur à l’homme, que celui qui commet un crime est la victime de forces extérieures à lui (un monde mal fait, une société inégalitaire, etc.), et qu’il est donc en réalité innocent. C’est de la gnose et du millénarisme que provient l’amour préférentiel pour les criminels qui inspire l’idéologie abolitionniste.

Provoquant la perversion de la justice, l’amour préférentiel des criminels issu de ces vieilles hérésies a engendré une idéologie anti-pénale qui va bien au-delà du refus de la peine de mort. Dès lors que le criminel n’est qu’une victime innocente de la société, celle-ci perd son droit de le châtier. Elle n’a plus que le devoir de soigner en lui un être blessé. Réclamant de la part de la société un désarmement face au crime, cette idéologie anti-pénale est inspirée par la religion séculière des droits de l’homme et par son intérêt prioritaire apporté à l’autre, c’est-à-dire en l’espèce au délinquant et aux criminels. L’idéologie humanitaire anti-pénale ne s’intéresse qu’à eux et à leur réadaptation sociale, qui est devenue l’objectif central du système pénal.

L’abolition de la peine de mort a enlevé à la justice pénale sa clé de voûte, ce qui a délégitimé par contrecoup toutes les autres peines. Agissant comme une onde de choc, l’abolition a été génératrice à tous les niveaux d’une impunité toujours plus grande des criminels mais aussi des délinquants. Dans un pays comme la France, une justice laxiste laisse en liberté des délinquants inquiétants et remet en liberté des criminels dangereux qui ne tardent souvent pas à passer à nouveau à l’acte. Se réclamant des droits de l’homme, la création indéfinie de droits subjectifs en faveur des criminels ainsi que la multiplication des mesures bienveillantes à leur profit, fonctionnent comme une machine à fabriquer de l’insécurité.