La langue platte

Mise en ligne de La rédaction, le 22 mai 2021.

par Nicole Gagnon

[EXTRAITS DU NUMÉRO 62/PRINTEMPS-ÉTÉ 2021]

La langue québécoise perd du terrain et des utilisateurs. Plus insidieusement, elle s’édulcore de l’intérieur, en perdant de l’épaisseur, faute de résonance par en dessous et d’expressivité par en haut. Parce que les Québécois aiment mieux les mots américains et parce que les gardiens de la langue ne leur offrent à la place que des mots plattes, ceux de la langue «soutenue» (la langue punie, disait Gilles Vigneault). L’égoportrait a-t-il supplanté le selfie au-delà des ondes publiques? peut-être que l’autoflash aurait eu meilleure carrière.

Les Français amoureux de la langue ou catastrophés par la perspective de sa disparition inéluctable ont célébré le français d’ici, qui «crée des mots sans l’autorisation d’une quelconque académie et sans se demander si c’est français ou non* », ou «l’incroyable créativité langagière**» des habitants du Québec. Ils sont en retard. Les Québécois n’ont plus guère depuis belle lurette de créativité langagière que pour défigurer la langue en l’ajustant à la rectitude sexiste. Et la réalité étant américaine, mieux vaut la nommer en américain pour se l’approprier. Toute velléité expressive est par ailleurs étouffée, d’un côté par le registre international de la langue, de l’autre par la dictature de la rectitude politique.
(…)

* Hubert Mansion, 101 mots à sauver du français d’Amérique, Michel Brûlé, 2008, p. 13.
** Claude Duneton, La mort du français, Plon, 1999, p. 103.