Le siècle, les hommes, les idées. L’horrible Canada de Justin Trudeau (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 22 octobre 2020.

par Béla S. Király

[EXTRAITS DU NUMÉRO 61/AUTOMNE 2020-HIVER 2021]

De Budapest, notre collaborateur hongrois Béla S. Király nous offre ce portrait au vitriol de Justin Trudeau et du Canada. Ce pays survivra-t-il à Justin Trudeau? En réalité, existe-t-il encore? Grâce aux bons offices de notre idéologue analphabète qui, d’Ottawa, «fait toujours le généreux», le Canada est-il beaucoup plus aujourd’hui qu’un espace vide, peuplé de pions interchangeables, déconstruit par la dépolitisation et la neutralisation technocratiques, devenu l’embryon risible de l’État universel et homogène à venir?

Jean Renaud

La maison d’édition Athenaeum de Budapest attire notre attention sur la traduction hongroise de Terrain d’entente (Common Ground), livre d’inspiration autobiographique du jeune Justin Trudeau, annoncé par un tutoiement insolent: «Tout ce que tu as voulu savoir du charmant Premier ministre canadien.»

Eh bien! Le féminisme, ce descendant femelle de la gauche postmarxiste qui vole sur un balai dans l’éther des médias atlantistes, ne se contente pas de proférer des mauvais sorts qui punissent la dissidence, mais il envoûte aussi les cœurs par des sortilèges charmants. Le regard qui lance des œillades sur la couverture me retient tellement que j’en oublie de chercher pourquoi ce bouquin insipide se répand dans les librairies de Budapest.

Cette mèche de cheveux grivoise tombant sur le front fait battre les cœurs féminins. Je lis parmi les commentaires: «il est un des hommes politiques les plus populaires, qui se fait remarquer dans les cadres de cette triste profession par sa geekitude». Le charme, que les médias nationaux aiment célébrer, ne fait pas de mal à l’homme politique, dans la mesure seulement où son activité ne se borne pas à l’entretenir.

Les élites de la politique et des médias canadiens ont une manie fâcheuse: elles imaginent que leur pays, dont les rênes sont provisoirement entre leurs mains, est un paradis terrestre. Et elles crient sur les toits leur utopie maison. Le livre de Trudeau fait exactement de même. En quoi la gauche canadienne rejoint la nouvelle gauche française et européenne, qui elle aussi partage cette chimère d’un monde paradisiaque et homogène.

Le Premier ministre canadien non seulement accepte une telle utopie, mais il voudrait encore la personnifier. Le message est clair: Trudeau est un modèle à imiter; il faut inciter les dirigeants européens à se libérer de l’identité de leur pays, et de cet horizon étroit qui s’appelle, horribile dictu, leurs patries. On compose des cantates à son sujet; l’épithète homérique de rayonnant ne suffit pas pour le décrire, il est déjà une personnalité à réaction, propulsée dans l’espace médiatique. Trudeau veut séduire notre époque à l’imagination rétrécie, à la manière de sa copie Xérox plus bavarde, Emmanuel Macron. Il présente de sa voix de velours, avec légèreté, dans un chatoiement de plumes de paon, les diktats impitoyables des progressistes, et leur ridicule idéologie multiculturelle. Il incarne le narcissisme paradoxal de notre époque: tu te regardes dans l’eau, et tu y admires le visage de quelqu’un d’autre.

Trudeau fait toujours le généreux: il porte toujours la tiare, le chapeau melon ou le turban de la minorité devant laquelle il parle. Il reçoit en grande pompe les réfugiés syriens dès leur arrivée à l’aéroport. Cela se voit qu’il a été homme de théâtre avant de suivre les traces de son célèbre père, Pierre Trudeau: il est un appât parfait pour les grands médias. Le numéro du 9 juin 2017 du magazine parisien L’Obs a même célébré le rêve canadien, donnant des conseils utiles à ceux qui souhaitent aller au Canada.

Le Canada ajoute foi seulement aux réclamations individuelles. C’est la patrie où brille sous la neige le soleil de la diversité, où les bruits de bataille de notre époque s’apaisent et les problèmes se résolvent conformément aux prescriptions des droits de l’homme universel. Néanmoins, si nous grattons la surface idéologique, la réalité se comporte comme un billet de loterie: on y gagne rarement.

Nous tombons sur une propagande transparente. Le Canada non seulement est le pays le plus merveilleux du monde mais aussi le meilleur. La classe politique canadienne voudrait reconfigurer l’identité du pays à son image. Les libéraux de Trudeau ont inventé un nouveau Canada. (Chez nous, c’était Elemér Hankiss qui a essayé quelque chose de ce genre, mais saint Étienne avait été le premier.) Ils croient – et nous font croire – qu’ils ont trouvé la formule magique pour entrer au paradis: appliquer partout le multiculturalisme. Leur Canada n’est pas l’héritier d’une tradition historique, mais la courroie de transmission de leur utopie.

D’abord, le multiculturalisme était destiné à neutraliser les revendications historiques du Québec français (non sans analogie avec le statut d’autonomie du Pays sicule en Roumanie.) C’est l’héritage toxique du père, Pierre Trudeau. Son fils a toujours résisté aussi à la demande de reconnaissance constitutionnelle des Québécois francophones et les considère comme une minorité ethnique semblable aux autres communautés d’immigrants. De Gaulle prévoyait-il cela lors de sa visite en 1967 lorsqu’il a lancé: «Vive le Québec libre»? Pourtant, les Canadiens français sont l’une des deux nations fondatrices.

Le Canada postmoderne a commencé par le balayage de la problématique du Québec sous le tapis. Plus tard, entre 2012 et 2014, quand le gouvernement du Québec a voulu faire voter une charte pour défendre l’identité québécoise, Justin Trudeau, comme chef de l’opposition à Ottawa, a comparé l’initiative au racisme ségrégationniste du Sud américain. Il est l’oiseau chanteur de l’identité canadienne sans identité.

Ainsi, les théoriciens et les avocats militants du multiculturalisme et le courant libéral qui le porte ont reçu Trudeau les bras ouverts, lui faisant répéter plusieurs fois que le manque de culture commune est le terreau idéal qui permet la coexistence des personnes qui appartiennent à différentes cultures. Le Canada visualisé par Trudeau est le laboratoire dont le champ d’application sera l’Europe rêvée par la bureaucratie actuelle de l’UE. Les bureaucrates européanistes sont prêts à nous vacciner avec du sérum canadien, pendant qu’ils déraisonneront dans leur langue politiquement correcte et monotone.

En 2015, Zunera Ishaq, une immigrante pakistanaise – pour le plus grand plaisir de ses avocats chuchotant à son oreille – a osé déférer le gouvernement canadien au tribunal pour qu’elle puisse réaliser ce qu’elle souhaitait: prêter le serment de citoyenneté en portant le niqab, ce voile musulman qui couvre la plus grande partie du visage. Selon le jugement de la Cour d’appel fédérale canadienne, il est légitime pour les femmes musulmanes de se couvrir le visage avec un niqab, et les autorités ne peuvent pas exiger
qu’elles l’enlèvent pendant qu’elles prêtent serment. Mais le gouvernement de l’ancien Premier ministre Stephen Harper a clairement indiqué que le jugement de la cour ne serait pas respecté; il en ferait appel et, s’il perdait à nouveau, obtiendrait une suspension partielle et temporaire des libertés.

En tant que candidat principal du Parti libéral canadien, Trudeau a déclaré que le chef du gouvernement de droite faisait une campagne de peur et divisait l’opinion publique canadienne. La division n’était guère flagrante puisque 82% des Canadiens étaient opposés au port du niqab lors de la cérémonie du serment de citoyenneté. La posture de Trudeau ouvre une brèche. Au nom des différences, il a banalisé le militantisme islamique.

De nos jours, dans le magnifique nouveau monde de Trudeau, les Canadiens doivent tourner sept fois leur langue avant de parler à haute voix. Tous ceux qui nient qu’on a le droit de choisir son sexe, indépendamment de son sexe biologique, ou qui jugent absurde que le concept de LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) s’enrichisse sans cesse de nouvelles lettres de l’alphabet, seront punis par les journalistes de la télévision d’État et par les aboiements unanimes des réseaux sociaux. Pas de subvention fédérale pour eux. Leur carrière est en péril.

Dans le Canada de demain, sous la loi de Justin, ceux qui remettront en question l’existence de la réalité derrière ces concepts, risqueront d’être poursuivis en justice pour le crime de hate speech (discours haineux). L’amende, la prison ou des cours de rééducation obligatoires seront les sanctions infligées. La pression idéologique est déjà énorme dans les écoles. La famille traditionnelle et l’enseignement chrétien sont en ligne de mire, ils doivent être éradiqués. Les parents sont impuissants à moins d’éduquer leurs enfants à la maison.

Justin Trudeau et ses associés aimeraient exporter cela aussi et proposer leur modèle à l’Europe pour le bénéfice des technocrates et des entreprises multinationales. Leur scénario circonstancié démontre à quel point le multiculturalisme est une religion politique autodestructrice. Il faut faire exactement le contraire de ce que Justin Trudeau prêche. Nous ne voulons pas d’un monde où il faut avoir peur de défendre une opinion différente de celle du gouvernement en place concernant la famille, l’éducation, la morale et les questions essentielles de la vie en société.