Pensées de derrière la tête suivi de Vingt-sept ans après

Mise en ligne de La rédaction, le 27 novembre 2019.

par Jean Renaud

[EXTRAITS DU NUMÉRO 60/NOVEMBRE 2019-JANVIER 2020]

«Pouvons-nous espérer devenir les Japonais de l’Amérique?»

«Pouvons-nous espérer devenir les Japonais de l’Amérique?»

Ces «Pensées de derrière la tête» ont été publiées dans la revue Liberté («Le Québec des écrivains», volume 34, no 5 (203), octobre 1992), il y a vingt-sept ans déjà. J’ai cru que quelques notes ne seraient pas de trop pour éclairer certaines allusions. J’ai aussi tenté l’exercice, que je crois utile, de comparer les deux temps, qui semblent si loin l’un de l’autre, dans un essai plus développé, bilan oblige, auquel j’ai donné un titre que m’avait laissé Alexandre Dumas, «Vingt-sept ans après».

Je l’avoue, la question de l’indépendance ne me passionne guère. Cependant, et malgré mon ennui, j’aurais pu proposer ces distinctions non point savantes, mais prudentes, qui doivent inspirer le politicien plus ou moins délivré de cet inquiétant servage envers ces borborygmes du cœur à la source de tant de bouleversements sociaux et esthétiques. J’ai préféré choisir, pour m’amuser, d’être injuste et partisan, en essayant, comme toujours, d’éloigner ceux qui seraient tentés d’adhérer à ma cause. J’ai même loué un premier ministre. Mais, à ma décharge, je dois dire que, tel Cioran, je crois qu’un bon éloge est un assassinat. Peut-être, pour l’écrivain, l’épreuve décisive est-elle de consentir à l’isolement et le plaisir suprême de ne parler que pour lui-même. Alors, une absolue franchise, néfaste à tout autre, lui est permise, surtout s’il a la chance de ne pas avoir d’influence, de ne jamais ouvrir un journal* et de ne point appartenir à une coterie en fonction.

*

Que nous donnera l’indépendance ? Le plein emploi ? Une culture enfin libérée de l’Europe, ayant la permission, si attendue, de balbutier impunément ? En somme, un grand destin ! Pouvons-nous espérer devenir les Japonais de l’Amérique**, nous unir dans un même «projet collectif» sous l’égide de patrons et de chefs syndicaux définitivement réconciliés, réaliser ce «Québec Inc.» rêvé par nos élites politiques?

D’ailleurs les craintes de la minorité anglophone sont frivoles. Nous parlerons tous anglais, Parizeau l’a promis. L’ordre régnera, puisqu’il ne manquera pas de policiers (autre promesse de notre libérateur). Pas de fausse modestie, nous avons un modèle à proposer au monde, ce modèle québécois inspiré de ces tyrannies lisses et indolores qu’incarnent si bien l’Allemagne et le Japon. Nous sommes aussi capables qu’eux de devenir disciplinés et serviles. Beau rêve, vraiment! Établir dans la «concertation» un capitalisme d’État, qui permettra cette victoire du collectif, c’est-à-dire du dégradant, tant désirée par nos ingénieurs sociaux humanitaristes.
(…)

* Je croyais à l’époque qu’il n’y avait rien de plus bête qu’un lecteur de journaux. C’était avant l’apparition des réseaux sociaux sur Internet.
** Souvenons-nous qu’en 1992, le Japon demeurait un exemple de croissance économique exceptionnelle.

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