Le siècle, les hommes, les idées. L’enjeu de la loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 22 mars 2018.

par Gary Caldwell

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 56/FÉVRIER-AVRIL 2018]

La religion de la neutralité

La religion de la neutralité

Le gouvernement du Québec a promulgué en octobre 2017 la loi 62: une loi qui stipule que les services publics doivent être dispensés et reçus «à visage découvert». Cette loi, qui s’intitule Loi favorisant la neutralité religieuse de l’État, fut bien reçue au Québec mais vilipendée dans les médias anglophones, et a fait l’objet, dix-neuf jours après sa sanction officielle, d’une contestation juridique déposée devant la Cour supérieure dans laquelle on allègue que l’article 10 de la loi, qui requiert «la prestation et la réception de services à visage découvert», serait discriminatoire selon les chartes des droits et des libertés du Québec et du Canada.

Notons que cette loi sur la neutralité religieuse constitue le dénouement d’un long et laborieux débat au sein de la société québécoise, de l’Assemblée nationale et du Parti libéral présentement au pouvoir.

Les réactions pour et contre ont été vives. La ministre de la Justice du Québec a déclaré : «Oui, je vais défendre le projet de loi»; elle s’est même dite prête à avoir recours à la clause dérogatoire dans l’éventualité d’un jugement négatif des tribunaux. Le gouvernement fédéral, par la bouche de la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, a prétendu être «en train de l’étudier attentivement»; «comme procureur général du Canada», a-t-elle ajouté, «je suis résolue à défendre les droits de tous les Canadiens en vertu de la Charte des droits et libertés». Le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles, ainsi que deux femmes, Warda Naili (Marie-Michelle Lacoste de son nom légal) et Fatima Ahmad, ont tout de suite contesté la loi.

Leur requête déposée le 7 novembre dernier et déjà reçue favorablement par les cours canadiennes parle de discrimination contre les membres d’une religion, et dénonce le caractère absolu et non ponctuel de la loi. Bref, la loi est contestée sur la base de la discrimination.

La question posée par cette requête consiste à savoir si la loi 62 est discriminatoire envers une catégorie de citoyens canadiens, soit les musulmans. Je soutiens que la véritable question est plutôt la suivante: «Se cacher le visage dans le domaine public est-il acceptable selon les règles de notre société?» Convenons d’abord que notre société appartient à la civilisation occidentale. Ce qui entraîne une interrogation encore plus générale: «Le fait de ne pas avoir le visage découvert en société porte-t-il atteinte aux préceptes d’une société occidentale ?» Je prétends que oui et voici pourquoi.

Au sein de notre société de tradition gréco-romaine et judéo-chrétienne, nous avons beaucoup de libertés individuelles, des libertés auxquelles répondent des responsabilités, également individuelles. Les unes ne vont pas sans les autres.

Et pour être responsables individuellement envers nos concitoyens, il faut pouvoir être identifiés. Au niveau le plus élémentaire, nous nous identifions par notre visage, en nous regardant dans les yeux: c’est ce qu’on appelle «le face à face». Par ce face à face, nous démontrons directement que nous sommes redevables à l’ensemble de nos concitoyens. D’ailleurs la communauté civile a la possibilité d’une première évaluation de ses membres en considérant leur figure. En effet, dès la vingtaine le caractère se révèle dans le visage. En l’observant, on se dit: «Voilà une personne correcte à qui je peux faire confiance»; ou au contraire: «Sa face ne me revient pas». De plus, par nos regards, par nos expressions (on dit de quelqu’un qui montre sa mauvaise humeur qu’il fronce les sourcils), par un mouvement léger de la bouche pouvant exprimer l’ironie, le dédain ou le plaisir, nous communiquons avec nos semblables. Une grimace ou un sourire sont des moyens de communication de première instance dans la société civile. Ici, au Québec, l’élection récente de Valérie Plante comme mairesse de Montréal, due en partie à son sourire radieux, en est un bon exemple (même si son éclosion sur la scène publique a été conçue par une entreprise de communication).

En conclusion, ne pas présenter notre visage aux autres membres de notre société viole une des principales obligations qui vient avec notre liberté, en rendant impossible un moyen de communication de base en Occident. Voilà pourquoi le visage couvert n’est pas acceptable. C’est une pratique propre aux sociétés proche et moyen-orientales, en l’occurrence musulmanes, ayant des fondements incompatibles avec ceux de l’Occident. Et n’oublions pas que notre société occidentale a des racines plus anciennes que la civilisation musulmane, qui n’est apparue qu’au sixième siècle.

Quel est le véritable enjeu que soulève le fait de se couvrir le visage en société? Cette pratique contrevient à une règle essentielle des sociétés occidentales, soit la liberté individuelle – mais aussi, incidemment, l’égalité entre les sexes – et la responsabilité qui vient avec elle. En outre, soulignons-le, cette loi 62 réalise, comme la loi 101, un tour de force juridique, celui d’atteindre la fin souhaitée sans sortir du cadre de la constitution canadienne.

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