Il est né le médecine-enfant

Mise en ligne de La rédaction, le 20 juillet 2011.

par Christian Monnin

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 32 / ÉTÉ 2011 ]

Une poupée, par Hans Bellmer

La famille est le lieu de toutes les expérimentations. En une génération, les enfants sont devenus les amis, sinon les frères et sœurs de leurs parents, quand ils n’en sont pas symboliquement… les parents : soutien lors des chagrins d’amour, soin des enfants d’une énième union, régulation des comportements, rappel des valeurs fondamentales, etc. Dans d’autres cas, plus fréquents, les parents apprennent de leurs enfants à rester puérils, alors qu’auparavant ils encourageaient leur mûrissement. Un retournement est en cours, une inversion du cours du temps affecte le rhizome généalogique. Annonçant l’ère de la co-reproduction, prélude au clonage, une descendance du troisième type aide ses parents à rafistoler leur premier enfant : le bébé-médicament, un être humain conçu pour guérir un frère ou une sœur atteint d’une maladie génétique incurable. J’ai bien lu conçu ? Parfaitement madame, le département conception et réalisation a fait d’énormes progrès au mépris des normes. Congélation d’embryons, « dons » de sperme ou d’ovules, mères porteuses, insémination massive ou post-mortem figurent maintenant au rayon des accessoires courants et se transigent sans faire hoqueter les bourses. Mais ils laissent une place au « hasard », ou à la Providence, il y a du laisser-faire. L’offre vise un public large et encore peu regardant, susceptible de se satisfaire d’un menu relativement standardisé. À mesure que les consommateurs deviennent plus avertis, ils se replient dans des niches et il est nécessaire, pour les rejoindre, de développer un produit sur mesure, ciblé, à la carte, personnalisé : un bébé qui répond à un cahier des charges, un portrait-robot. L’inconscient précède la science : la tentation ne date pas d’hier, mais les moyens pratiques de sa mise en œuvre n’ont qu’une vingtaine d’années, apparus dans la foulée du développement de l’assistance médicale à la procréation et de son principal produit d’appel, la fécondation in vitro.

Tout repose sur un complexe processus de dépistage génétique appelé « diagnostic préimplantatoire ». Comme son nom l’indique, le DPI consiste à effectuer un contrôle qualité sur les embryons mitonnés en éprouvette, avant d’implanter ceux qui sont sains dans l’utérus de la mère. Il relève donc d’une médecine préventive (ou d’« évitement de la maladie ») qui traque les germes de malformations et de maladies génétiques. ISO 9001, L’Odyssée de l’espèce touche à sa fin. Concrètement, comment est-on DPI-sé ? Sur les (environ) huit cellules (ou « blastomères ») qui composent un embryon trois jours après la fécondation in vitro, une ou deux (soit jusqu’à un quart !) sont prélevées par biopsie, pour analyse exécutoire ou examen final. Bagatelles, disait Céline… Il est interdit dans de nombreux pays, et peut-être le DPI mériterait-il d’être déféré au TPI (Tribunal pénal international). Néanmoins, un spécialiste estime à plus de 50 000 dans le monde le nombre de cycles de fécondation in vitro effectués avec la sanction de ce test et à 10 000 le nombre d’enfants nés profilés à la satisfaction générale.

Il est question jusque-là d’eugénisme « négatif » : dans une couvée de quelques embryons sont écartés les items défectueux, voire moches (la symétrie structurelle est, paraît-il, un gage de bonne santé – mais qu’en reste-t-il après l’amputation d’un DPI ?). Le bébé-médicament représente la première occurrence acceptée par la loi (dans certains pays dont la France, les États-Unis et la Belgique) d’eugénisme positif. Il est destiné à procurer du sang ombilical ou de la moelle pour soigner un premier enfant atteint d’une maladie génétique sévère. Pour être homologué, il doit passer sous les fourches caudines d’un double diagnostic préimplantatoire. Le premier, simple eugénisme négatif, sert à s’assurer qu’il est exempt de la maladie à laquelle il est sensé remédier. Mais le second sélectionne, parmi les embryons sains, ceux qui sont compatibles avec l’aîné receveur, et voilà l’eugénisme positif : il ne lui suffit pas d’être sain, il doit répondre à des critères extérieurs, sociaux, idéologiques et médicaux. Les affinités sont désormais sélectives. Avant d’obtenir la perle rare, une moyenne de trente embryons sont conçus, dont l’ivraie est détruite lorsqu’elle est défectueuse ou lorsqu’elle ne satisfait pas aux critères d’admission.

Ce verrou qui a sauté annonce les pires dérives du tri sélectif. Rien ne garantit que, de la compatibilité HLA (tissulaire), les critères ne s’élargissent aux caprices les plus farfelus (et contre-nature) et aux fantasmes les plus criminels. Ces transplantes médicinales ne sont que sélectionnées, et pas encore modifiées ou fabriquées, mais jusqu’à quand ? Fort heureusement, Philippe Burlet, un éminent praticien de l’hôpital Necker, à Paris, a trouvé la solution : « Un objectif possible serait d’éliminer les connotations eugéniques rattachées aux techniques de sélection d’embryon, sans renoncer aux avantages du progrès scientifique et technique ». Puisque, selon lui, « il est difficile de croire en un corpus d’idées morales, philosophiques, éthiques et religieuses », tout ça n’est à ses yeux qu’un malentendu, une regrettable affaire de connotation qui sera cautérisée en pasteurisant les mots, en stérilisant le langage. En somme, à l’instar du monde de la finance, il faut mettre en place une agence de connotation.

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