Document. Une mère de famille contre l’État québécois: un témoignage sur l’imposition unilatérale du cours ÉCR

Mise en ligne de La rédaction, le 20 juillet 2011.

Par Suzanne Lavallée

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 32 / ÉTÉ 2011 ]

 

Babel

Ce témoignage déplaira aux technocrates, aux professeurs, aux architectes de la religion d’État libérale, et parions même qu’il jettera dans l’épouvante quelques journalistes et un ou deux commissaires. C’est dire la force et la vérité qu’il contient ; ce n’est pas tous les jours qu’une famille se dresse contre l’État pour défendre ses libertés et témoigner des choses éternelles. Il faut de solides convictions et une dose exceptionnelle de courage pour affronter la mesquinerie, la froideur et la franche idiotie des commis aux affaires légales, intellectuelles et médiatiques. Nous sommes heureux, à Égards, de publier la version intégrale du témoignage de Suzanne Lavallée. Ce récit douloureux, chargé d’une juste et saine indignation, ne cède jamais au ressentiment, laisse les puissants s’étouffer avec leurs décrets, et parle pour finir de ce qui importe le plus : l’espérance. Quoi de plus beau et de plus nécessaire en ces temps de futilité et de démence ? (Une version abrégée de ce texte est parue sous le titre « Ce que je souhaite pour mes enfants » dans l’ouvrage collectif La religion sans confession– Regards sur le cours d’éthique et culture religieuse, Montréal, Médiaspaul, 2011. Mentionnons aussi que, par décision judiciaire, les noms des enfants mineurs à l’époque des faits doivent être passés sous silence. Il s’agit ici de pseudonymes)
Patrick Dionne

Je me présente : Suzanne Lavallée, mère de quatre enfants, mais j’en compte six dans mon coeur, puisque nous formons avec mon mari une famille recomposée, comme on dit ! Trois de nos enfants fréquentaient l’école pendant l’année scolaire 2008-2009 : Mathieu et Laura, tous deux âgés aujourd’hui de dix-huit ans, et Édouard, notre cadet, qui a neuf ans.

Mathieu, Laura et Édouard ont vécu l’imposition du cours d’éthique et de culture religieuse (ÉCR), devenu obligatoire au Québec en 2008. Laura, qui se sentait à l’aise avec ce programme, a tenu à y assister. Mathieu, pour sa part, a décidé de son propre chef de s’y soustraire, après avoir été choqué par des discussions en classe (comme je le lui ai promis, je ne détaillerai pas ses motivations, afin de préserver son intimité). Édouard, lui, a accepté de ne pas y aller. Bien sûr, j’ai influencé mes enfants, car je leur ai fourni de l’information sur le cours. Mais, en bout de ligne, j’ai respecté leur choix.

Les gens comme moi qui s’insurgent contre l’imposition du cours ÉCR ont été accusés d’être les catholiques « les plus intégristes » (radio de Radio-Canada, 7 janvier 2008), d’être un « groupe de rétrogrades entêtés » (Dominic Blouin, La Voix de l’Est, 7 octobre 2008), de faire preuve d’un « comportement réactionnaire, rétrograde et injustifié » (André Beauregard, La Voix de l’Est, 8 janvier 2008). On a également voulu faire de moi une mère autoritaire et extrémiste qui ne pense qu’à isoler ses enfants du monde « pluraliste ». Or, si l’on tient absolument à m’affubler d’une épithète en « iste », la seule qui me convient actuellement est « triste ». C’est la tristesse en effet qui m’envahit quand je vois que les parents sont désormais exclus de la formation morale et de l’éducation de leurs enfants.

Je l’avoue d’entrée de jeu : ce cours ne me plaît pas, je le trouve potentiellement nuisible au cheminement spirituel et identitaire de mes enfants. Si, comme parent, je n’ai plus le droit de guider mes enfants dans la voie morale que je privilégie, voie qui jusqu’à tout récemment était parfaitement légitime au Québec, est-ce que cela fait de moi une extrémiste ? Ne faudrait-il pas plutôt s’interroger sur le monopole éducatif de l’État qui parvient à imposer à tous les enfants sans exception des cours de morale ? Des parents paient le prix fort pour que leurs enfants soient éduqués dans des collèges privés à vocation confessionnelle où le gouvernement parvient pourtant à imposer son cours ÉCR, sans tolérer la moindre exemption. Qui est intolérant ? Les enfants d’athées ou de témoins de Jéhovah ont bénéficié d’exemptions par le passé. Mais voilà que l’État, sûr d’avoir développé un programme neutre et objectif, s’arroge le monopole de la vérité pédagogique.

Rencontre avec la CLÉ et les représentants du ministère
Le programme ÉCR est le dernier élément de la réforme pédagogique, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. La majorité des parents a probablement subi son imposition, comme pour le reste du « renouveau pédagogique », sans trop savoir de quoi il s’agissait, si ce n’est que le programme allait enseigner quelques notions sur diverses religions et apprendre aux enfants à « dialoguer ». Pour ma part, j’ai eu la chance d’être renseignée par ses détracteurs et par ses partisans.

En 2008, ma mère m’a informée de la tenue à Sherbrooke d’une conférence consacrée à ce cours, organisée par la CLÉ. Je m’y suis rendue, curieuse de savoir ce qu’on pouvait reprocher à un cours neutre, sans affiliation, qui prônait l’ouverture aux autres, favorisait le dialogue et la recherche du bien commun. Pour tout dire, j’y suis allée en me disant que j’aurais affaire aux scrupules excessifs de catholiques zélés.

J’avais déjà fait mon deuil d’un accompagnement spirituel à l’école et j’avais accepté l’idée d’un cours neutre car, avouons-le, la vie de parent est une course effrénée et nous n’avons pas toujours le temps d’aller au fond des choses… A priori, le cours ÉCR me paraissait une solution envisageable et probablement même adéquate. Je n’émettais qu’une seule réserve : familiariser des enfants de six ans à plusieurs religions en même temps, alors qu’ils commencent à peine à connaître celle de leurs parents, me paraissait prématuré et propre à semer la confusion. Mais quelle ne fut pas ma surprise d’entendre à cette réunion :

– Une catéchète dissiper l’illusion qu’un tel programme n’interférerait pas avec la foi des jeunes enfants.

– Une docteure en psychologie scolaire, programme du ministère de l’Éducation en mains, démontrer comment et pourquoi ce programme ne respectait pas le rythme d’apprentissage de l’enfant, car le contenu en était trop complexe, et les attentes envers les enfants et les enseignants trop élevées. Cette intervenante a ensuite pointé quelques éléments du programme posant problème aux parents chrétiens. Il est vrai que cette psychologue, madame Jean Morse-Chevrier, est présidente de l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ) et qu’on pourrait l’accuser de prêcher pour sa paroisse. Mais ce qu’elle disait me paraissait parfaitement sensé – sans égard au fait que je suis chrétienne, moi aussi.

– Ensuite, le sociologue Gary Caldwell a précisé le contexte d’implantation de ce cours, et évoqué les rapports et commissions qui ont mené à sa mise en place. Puisant dans son expérience de membre de la Commission des États généraux sur l’éducation en 1995 et 1996, cet ancien professeur de l’Université Bishop’s m’a également appris que la réforme qui allait mener au programme ÉCR ne répondait à aucune demande de la base. Elle avait été imposée d’en haut.

– Enfin, pour couronner le tout, maître Jean-Yves Côté a parlé des modifications apportées aux lois sur l’instruction publique et privée, à la Constitution canadienne et à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour imposer le programme ÉCR.
Je n’en avais jamais entendu parler. Pour finir, Me Côté a évoqué les conséquences de ces modifications sur les droits des parents : nous n’aurons plus grand-chose à dire sur la formation morale de nos enfants à l’école… Cela m’a réellement ébranlée. Quelques experts et fonctionnaires allaient décider de l’éducation morale de nos enfants et, à terme, de l’évolution d’un peuple.

J’ai été secouée par cette conférence. Mais je tenais à entendre un autre son de cloche. J’assistai donc à la réunion organisée à Drummondville par la Commission scolaire des Chênes avec les experts du gouvernement Pierre Bergevin, ex-sous-ministre adjoint et maintenant porte-parole du MELS dans le dossier ÉCR, et Jacques Pettigrew, responsable du contenu du programme éthique et culture religieuse. Je n’étais pas seule, près de deux cents autres parents se serraient dans le gymnase bondé et exposaient une série de griefs qui commençaient désormais à se cristalliser en moi : banalisation de la religion, représentation superficielle et même fausse des religions ne permettant pas d’en comprendre l’essence, interférence avec l’autorité parentale, insuffisance de repères moraux, encouragement d’une autonomie précoce pouvant mener l’enfant à rejeter les positions morales de ses parents, de son Église et de sa culture. Il était également évident, d’après les réactions dans la salle, que le cours ne satisfaisait ni les « laïques » inquiets du retour du religieux, ni les croyants, qui voyaient leur foi reléguée au rang de pièce de musée, à quelques phénomènes et à de vagues récits présentés hors contexte. Les réponses des deux fonctionnaires chevronnés ne m’ont pas paru convaincantes. De l’avis du journaliste Gérard Martin, les « émissaires n’ont pu convaincre » les opposants au cours.

Après trois heures de réunion, MM. Bergevin et Pettigrew ont promis de faire un rapport à leur supérieur hiérarchique, le sous-ministre de l’Éducation. Nous avons découvert le contenu de leur rapport lors du procès de Drummondville. Ils préconisaient, d’une part, de mettre fin aux séances d’information et d’échange, qui risquaient d’« offrir une tribune » aux opposants au cours et, d’autre part, la mise en avant, au primaire, du volet éthique ou du volet religieux chrétien, qui rencontraient moins de résistance (selon les fonctionnaires rapporteurs). Il valait mieux ne plus renseigner les parents, ne plus les écouter et imposer le programme en douceur, sinon en douce, en espérant que la polémique s’estompe, à mesure que les parents retourneraient à leurs préoccupations quotidiennes et laisseraient le champ libre au ministère.

Le programme, les indications pédagogiques
Pour préparer les divers interrogatoires auxquels j’ai été soumise dans le cadre du procès de Drummondville, je me suis mise à lire le programme du ministère de l’Éducation en détail. Il faut le lire. Certes, il est répétitif, rébarbatif, abstrait, écrit dans un style ampoulé, mais sa lecture est instructive.

La première chose qui frappe, c’est le peu d’éléments concrets qu’il prescrit, le peu de connaissances qu’il demande d’acquérir. On les retrouve à la toute fin des programmes du primaire et du secondaire. Et encore s’agit-il d’« exemples indicatifs » sur lesquels les enseignants « peuvent prendre appui » ou non, qui couvrent différentes religions et conceptions séculières (y compris l’athéisme, au secondaire). L’approche est superficielle : il est question de symboles, de fêtes, de rituels, de fondateurs de religions, de manière parcellaire et dispersée. Le programme préconise d’ailleurs de ne pas aborder ces éléments « de façon séquentielle et linéaire » (p. 281), mais de mêler religions, éthique et « dialogue ». Tout doit être mis sur le même plan : on pourra donc parler d’écologie en évoquant l’histoire de Noé, comme le suggère le programme. J’ai pu vérifier que les manuels respectent cette partie du programme et ne se privent pas de sauter d’un récit animalier fantaisiste à la description rapide d’un récit religieux, pour enchaîner sur une fête sans dimension religieuse. À mon sens, une présentation aussi confuse ne peut que banaliser le récit religieux.

(…)

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