In memoriam. Le fils de la foudre: Maurice G. Dantec (1959-2016) (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 16 août 2016.

par Patrick Dionne

(Allocution prononcée aux funérailles de Maurice G. Dantec, le 4 juillet 2016, à l’église des Dominicains de Saint-Albert-le-Grand, à Montréal.)

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 51/JUIN-SEPTEMBRE 2016 ]

Maurice G. Dantec

À quel siècle Maurice Georges Dantec appartenait-il? Au premier siècle, au treizième, au vingt-cinquième? En réalité, il appartient à tous les siècles. Et avant tout à l’éternité. Ce «Catholique du futur» et de la «Fin des Temps» s’est souvenu du passé et de l’avenir, de la Genèse et du Jugement, de la nature et de la grâce, de la Sainte Trinité et de l’homme, de tout ce dont personne ne se souvient. Il a vu ce que nul ne voulait voir, proclamé ce que nul ne voulait entendre, cherché à unir ce que tout le monde sépare, capturé en des images hurlantes la laideur du mal et témoigné en des déflagrations hallucinées de la lumière qui guérit. Il aimait dire que l’écrivain est seul. Ce fils de la foudre savait de quoi il parlait. Seul contre la foule des assassins et des lavettes, des procureurs et des délateurs, des charlatans et des idolâtres, des lèche-écrans et des «suce-pieds», pour reprendre une expression de Léon Daudet, sous des cieux sombres et sanglants, sur des terres glaciales et dévastées, il a marché dans l’espérance, la promesse du Ressuscité gravée sur le cœur.

Maurice était un brasier vivant et une citerne de larmes. Tout en lui brûlait et pleurait, dans sa vie comme dans son œuvre. Ce vociférateur blessé se sera tenu, souverain, dans l’amitié de la parole cruciale – ce beau vocable qu’on peut traduire, théologiquement, par «l’heure de la croix» –, dans cet au delà des mots qui se nomme le Verbe et qui engendre la langue, toute langue, l’illumine, l’embrase, la transfigure.

Aucun vrai guerrier n’ignore la crainte et le tremblement. Aucun vrai chrétien non plus. Je n’ai jamais vu personne s’approcher de l’autel, au moment de l’Eucharistie, avec un tel tremblement dans l’âme, ce tremblement qui est le meilleur de l’homme, selon Goethe, le tremblement de l’être conscient qu’il n’a que son néant à offrir à Celui qui est Tout. Il recevait le Corps du Christ l’âme à genoux, éperdu de vénération, avec une douceur infinie, paraissant éprouver jusque dans sa chair le mystère de la Présence Réelle.

Je me figure la disparition de Maurice comme une perquisition dans un dépôt d’armes clandestin, capable de fournir en Colt, en Winchester, en AA-12, en RS-28 Sarmat, pour des décennies, tous ceux qui ont du sang de belluaire, de prêcheur, de dynamiteur, de sniper, d’aventurier, de créateur, de témoin, chantres et soldats de l’Invisible dans un monde de fanatiques émasculés aux yeux crevés. Il arrivait si souvent que dans une seule de ses profondes et vertigineuses tirades, retentisse l’arsenal au complet. Je l’avoue, la perspective de ne plus converser des nuits entières avec lui, de ne plus entendre son rire invincible, chargé d’ellipses et d’allégories, m’écrase. Et qui, désormais, me remontera le moral avec autant d’aplomb que ce croisé qui, un jour d’hiver funeste, me consola en ces mots: «Passe à la maison, Pat, on se mettra dans un coin et on dira du mal des gens.»

Retournant le vers de Lamartine (la dialectique du sens représentait pour lui un critère de la vérité), il écrivait: «Un seul être vous manque et le monde vous semble surpeuplé.» Maurice nous manque terriblement, et en ce qui regarde le surpeuplement, j’aurais envie d’invoquer un Ange Exterminateur, pour un sérieux dégraissage. Mais l’essentiel ne réside-t-il pas dans cette sentence de Basile de Césarée: «Nous n’avons pas été privés de [notre frère], nous l’avons rendu à Celui qui l’avait prêté; sa vie n’a pas été anéantie, elle a été changée pour le mieux; ce n’est pas la terre qui a recouvert notre bien-aimé, c’est le ciel qui l’a reçu.»

«Mystère de la singularité, mystère de la Personne, je n’ai jamais pu, affirmait Maurice, je ne peux pas, je ne pourrai jamais transmettre l’unicité de mon existence concrète et cela est vrai pour chacun d’entre nous, depuis la nuit des temps et sûrement jusqu’aux derniers. Tout nous est, nous sera révélé lors de notre accueil dans la Vie Éternelle. Que signifient, que signifieront alors Je, Nous, Vous, Il?» Aujourd’hui, Maurice a la réponse, toutes les réponses. J’en risque une, en attendant l’Apocalypse : nos âmes, dans le Royaume, garderont, je crois, leur singularité, leur unicité, leur mystère, mais dans une joie parfaite, car elles seront unies à leur source, dans la contemplation, pour toujours.

J’imagine mon vieil ami grimpant au ciel à toute vitesse, dans un char de feu conduit par Élie et Tertullien, escorté par les stratèges de l’armée céleste, les anges et les archanges, porté par un hymne glorieux qui remplit l’univers, un quatuor pour orgue, percussion, trompette et Gibson, debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse, le Salut pour morion, le bouclier de la Foi dans une main et le glaive de l’Esprit dans l’autre, c’est-à-dire la Parole de Dieu, qu’il lance sur nos cœurs, de là-haut, de toutes ses forces et de tout son amour.

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