Christianisme et modernité: Notes sur la pensée de Charles Taylor

Mise en ligne de La rédaction, le 4 avril 2016.

par Jean Renaud

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 50/MARS-MAI 2016 ]

Charles Taylor

«La terre où a prospéré la civilisation philosophique sera maudite, ce sera la terre de la corruption et du sang.» (Donoso Cortès)

«Il est vraisemblable, en ce qui concerne la religion, que nous allons entrer dans une ère de tolérance. Il sera admis que chacun peut faire son salut à sa convenance personnelle. Le monde antique a connu ce climat de tolérance. Personne ne s’y adonnait au prosélytisme. […] Notre époque verra sans doute la fin de la maladie chrétienne. C’est une affaire de cent ans, de deux cents ans peut-être. Mon regret aura été, à l’instar de tel prophète, de n’apercevoir que de loin la terre promise. Nous entrons dans une conception du monde, qui sera une ère ensoleillée, une ère de tolérance. L’homme doit être mis dans la situation de développer librement les talents qui lui sont donnés par Dieu.» (Hitler, Libres propos sur la guerre et la paix)

Je n’ai pas que des réserves sur la pensée de Charles Taylor. Le refus du subjectivisme et du relativisme, quoique souvent embarrassé chez lui, doit au moins être salué. Les sources du moi et L’âge séculier sont des œuvres très riches, écrites dans une langue accessible (ce qui honore l’auteur dans une discipline où le charabia prospère). On pourrait les comparer à deux vastes enquêtes rationnelles, par moment extrêmement suggestives. Taylor reconnaît l’importance des religions ou, disons, pour ne fermer aucun scénario, du «religieux». En cela il se démarque d’une intelligentsia canadienne-française qui tend depuis la Révolution tranquille à imiter les réflexes et les mots d’ordre d’un mandarinat intellectuel français, lui-même captif du républicanisme anticlérical de la Troisième République. Une telle étroitesse a coûté cher, le Québec, au contraire de la France (un Rémi Brague, un Alain Besançon ou un Pierre Manent pour ne nommer qu’eux), n’ayant pas conservé une véritable présence culturelle des catholiques. Toute la pensée canadienne-française en a été stérilisée et provincialisée. Le provincialisme est un mal universel (T.S. Eliot en fait une caractéristique du monde moderne), mais chez nous il est encore plus radical (n’est-il pas une conséquence, alléguerait Gómez Dávila, du «problème fondamental de toute ancienne colonie, celui que posent l’asservissement intellectuel, la minceur de la tradition, la culture subalterne, inauthentique, l’imitation obligée et honteuse»?). Rien n’a pu remplacer la riche tradition théologique chrétienne, tradition que le Québec d’autrefois s’était si mal approprié.
(…)

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