Le siècle, les hommes, les idées. La République française ou la loi du déni (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 19 septembre 2015.

par Matthieu Lenoir

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 48 / AOÛT-OCTOBRE 2015 ]

Le déni français

Le parquet de Paris a demandé, le 24 juin 2015, 5000 euros d’amende à Éric Zemmour et 3000 euros d’amende avec sursis à la radio RTL – qui avait accueilli sa chronique – pour «diffamation raciale» et «incitation à la haine raciale». Celui que l’agence France-Presse, bras armé de la novlangue, ne qualifie plus que de «polémiste», à l’égal de l’antisémite Dieudonné, lui refusant le qualificatif légal de «journaliste» et d’»essayiste», avait déclaré: «Les Normands, les Huns, les Arabes, les grandes invasions après la chute de Rome sont désormais remplacés par les bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent». «J’aurais pu ajouter les Russes et les Géorgiens, mais il faut bien s’arrêter», a répliqué Éric Zemmour à la présidente du tribunal qui l’interrogeait sur les raisons qui l’avaient conduit à ne citer «que» ces cinq «cibles», nous rapporte l’agence France-Presse (AFP).

Éric Zemmour a eu beau étayer son raisonnement par des chiffres, des documents, les témoignages de touristes chinois agressés sur les Champs-Élysées ou ceux «d’agriculteurs dépouillés par des bandes de Roms», son sort était réglé. Conclusion du procureur d’une «République» éternellement tentée par ses origines totalitaires: M. Zemmour «tient des propos sans nuances» et, mot-clé de la novlangue en cours dans les forteresses de la pensée unique, «stigmatise». En 2011, le même Zemmour avait été condamné pour avoir osé dire que «la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est un fait». Il aurait pu ajouter «napolitains» ou «siciliens». Funeste erreur.

Citons Zemmour devant sa juge, pour résumer: «À la suite de la parution de mon livre, Le Suicide français, le premier secrétaire du parti au pouvoir avait dénoncé la zemmourisation de la société. Le premier ministre avait expliqué que mon livre n’était pas digne d’être lu, le ministre de l’Intérieur avait appelé à manifester contre moi, et le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait sollicité de mes employeurs qu’ils mettent fin à mes collaborations à leurs médias. Marie-Anne Chapdelaine, une députée d’Ille-et-Vilaine, me chassait carrément de France: “Monsieur Zemmour, la République, on l’aime ou on la quitte’’». Le livre susmentionné s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires alors que l’éruptif premier ministre catalano-tessinois actuellement en poste à Paris, Manuel Valls, avait comiquement jugé «qu’il ne méritait pas d’être lu».

Passons de Zemmour à Michel Houellebecq. Ce dernier, qui reste qualifié d’»écrivain» par l’AFP avant qu’elle ne le rétrograde dans la catégorie de «polémiste», a été taxé «d’intolérance» par le même Manuel Valls, autoproclamé critique littéraire de référence. Houellebecq avait le tort d’avoir anticipé le glissement de la France sous la férule politique musulmane, avec la collaboration active de son oligarchie relativiste – collaboration, vieille rengaine d’une république qui perd toutes ses guerres… Au demeurant le premier ministre Valls peut aller très loin, s’appropriant les droits qu’il refuse aux autres: la main gauche affolée et les lèvres acérées en forme de ciseaux d’exciseuse, il avait glapi en mars, face à la députée du Front national et benjamine Marion Maréchal-Le Pen qui lui reprochait son engagement partial dans une campagne électorale locale, son devoir de «stigmatiser» le parti lepéniste, qui réunit peu ou prou le quart de l’électorat. Une envolée quasi pathologique qui fit le bonheur des internautes.

Illustrant le pressentiment de Houellebecq, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, vieux routier du socialisme opportuniste, avait fixé le mur infranchissable de ce politiquement correct, antichambre du ralliement: «Il ne faut pas utiliser le mot “islamistes” mais lui préférer celui de “terroristes”«, avait-il édicté. Un précepte depuis toujours appliqué à la lettre par le flatulent François Hollande, président en exercice. Las, cruauté du réel, peu de temps après, le 25 juin 2015, survint la décapitation d’un modeste patron de petite entreprise lyonnaise, suivie d’une tentative d’attentat contre une usine de gaz à Saint-Quentin-Fallavier, le tout orné du drapeau noir de «l’État islamique». Interpellé, le terroriste avoua. C’était un salafiste patenté. C’est là que Manuel Valls se prit les pieds dans son propre tapis sémantique en dénonçant une «guerre de civilisation» face au «terrorisme islamiste». Retour du refoulé. Consternation à gauche. Inventer une langue qui vise à dire autre chose qu’une réalité donnée peut tourner à la corvée. Un seul «dérapage stigmatisant» ruine des années d’efforts. La guêpe nominaliste se cogne aux parois de son verre de lampe: quelques jours auparavant, ce même apparatchik parvenu au pouvoir se félicitait d’avance que «si nous faisons la démonstration que l’islam, sous toutes ses formes, est compatible avec la démocratie, la laïcité […], nous gagnerons une bataille idéologique majeure».

L’hypnocratie médiatique, dont en France on ne peut contester le zèle ardent à voiler le pays de son tchador idéologique, faillit dans cette affaire perdre son latin de cuisine. L’AFP assiégea «l’entourage» du premier ministre égaré pour obtenir des nuances en forme de rectification. Julien Dray, secrétaire national de la secte socialiste venu du marais trotskiste, accourut ventre à terre pour recadrer le procureur Valls en perte de contrôle neuronal: ces derniers propos relèvent de «l’amalgame idéologique», asséna-t-il. À moins que ce ne fût de la confusion mentale? Les bureaux de la censure sont aussi proches de l’hôpital psychiatrique que la roche tarpéienne du Capitole.

On s’attardera sur le cas de Philippe Tesson. Ce virevoltant journaliste et homme de presse réputé «de droite» osa déclarer en janvier, juste après les massacres à la kalachnikov qui décimèrent en particulier la rédaction de Charlie Hebdo: «D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité sinon des musulmans? On le dit, ça? Eh bien moi, je le dis! C’est ça notre problème actuellement, c’est les musulmans qui mettent en cause la laïcité! C’est les musulmans qui amènent la merde aujourd’hui!» Fatale insistance, vague d’indignation. Le lendemain, l’écolo-gauchiste Cécile Duflot tisonnait: «La réaction contre les propos abjects et l’islamophobie puante de Philippe Tesson devrait être plus forte». Car Mme Duflot connaît la solution. Elle proposait dans un entretien à Midi Libre, lors de la campagne législative de 2012 dans le département du Gard sur le point de choir du côté lepéniste, de résoudre le problème des conflits intercultu(r)els en «installant des bancs face à face dans les jardins publics pour que les gens se parlent». Tesson, agoni de menaces de mort, s’excusa sans se dédire. Le parquet se saisit de son cas.

On objectera nonobstant que tout cela se passe aux sommets des sphères médiatico-politiques, confinées dans leur donjon parisien. Or il n’en est rien. Le poison infuse et les «Lacombe Lucien» du collaborationnisme multiculturaliste se multiplient à due proportion de la sourde angoisse de submersion qui envahit le pays. Le «dénominalisme», outil d’exorcisme. Magie de l’occulto-socialisme! On se souvient de la bordée de fiel qui accabla Maurice G. Dantec, pourtant installé à Montréal, en 2002, parallèlement à la sortie d’un tome de son journal, avec pour prétexte un entretien accordé à un site réputé infréquentable. Treize ans plus tard, dans un quotidien régional du sud de la France, une secrétaire de rédaction fin juin censure, sans en prévenir l’auteur, l’expression «islamo-terroriste» dans un article sur les massacres de «l’État islamique» en Syrie. Près de deux cents civils tués ce jour-là, on passe sur les raffinements de cruauté. S’en apercevant, l’auteur rétablit l’expression, qui paraît. Le voici convoqué chez le directeur de la rédaction, alerté par les bons soins de la consoeur zélée et de son chef de service, un catholique convaincu. Avec l’ordre de ne plus utiliser ce terme, au bénéfice de l’expression garantie par l’AFP de «jihadistes du groupe État islamique». Pas islamistes, «jihadistes». Pas secte, pas milice, «groupe». Rompez. Le lendemain, la tête sanglante d’Hervé Cornara, patron de petite entreprise cité plus haut, était découverte accrochée à l’enceinte de l’usine de gaz de Saint-Quentin-Fallavier, le drapeau proclamant la chahada, profession de foi mahométane, pendant à son côté. Le journaliste incriminé n’entendit plus émettre aucune objection. Le temps d’enterrer la victime et de trouver au criminel une pathologie mentale, probablement.

Scènes de survie dans la France lobotomisée. La lâcheté sous le prétexte de la charité. Or, si la réalité inclut le mystère, elle oblige aussi à l’évidence. L’autre est autre. Parce qu’elle le refuse, la psychose nominaliste, qu’elle bourgeonne en suprémacisme pseudo-religieux ou en négationnisme égotique, était, est et restera une promesse de chaos.

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