Le vide politique au Québec: une occasion pour la droite (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 20 avril 2011.

par Richard Décarie

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 31 / PRINTEMPS 2011 ]

En ce début de XXe siècle, plusieurs commencent à pressentir, sans toujours pouvoir l’exprimer, les ravages sociaux, politiques et même économiques du relativisme moral. Au Québec, l’ensemble de la population ressent, consciemment ou non, le vide politique ambiant. Et elle distingue au moins confusément le lien entre ce vide et le relativisme moral, qui en est la cause profonde. De son côté, la gauche s’inquiète. Elle sait que ses vieux slogans n’opèrent plus – même les poncifs environnementalistes irritent l’oreille la plus soumise à force d’être utilisés ad nauseam. Et elle craint, à tort ou à raison, la montée de la droite, une droite qu’elle ne réussit plus à diaboliser aussi efficacement que par le passé. Je vais tenter de décrire succinctement la situation actuelle de cette droite en devenir.

Portrait de la droite québécoise

Depuis une dizaine d’années, les Québécois ne se contentent plus d’être sceptiques, sinon cyniques, face aux politiciens et aux recettes socialisantes inlassablement appliquées depuis la Révolution tranquille : ils veulent entendre d’autres discours. Et les fameux consensus québécois qu’aiment évoquer nos syndicalistes se lézardent.

Cela amène un certain nombre de personnalités publiques – des intellectuels, des politiciens, des animateurs de radio, plus rarement des artistes – à oser avancer des idées et des principes en contradiction avec le « modèle » québécois sans se voir automatiquement expulsés de l’agora.

Mais le passage du vide politique à une doctrine concertée et cohérente propre à séduire et convaincre une partie de l’électorat ne se fera pas sans heurt ni hésitation. D’autant plus que nous n’en sommes qu’aux premiers balbutiements de ce qui, il faut l’espérer, deviendra un mouvement de fond, conduisant ultimement à la création d’organes d’action politique structurés et efficaces.

François Legault vient d’annoncer son projet politique – Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ). L’objectif des commanditaires de M. Legault – et de la récupération (libérale) financière de l’Action démocratique du Québec (ADQ) – est plus tactique que stratégique. Il consiste simplement à contrer l’élection de Pauline Marois comme première ministre du Québec. Avec une ADQ minimalement agissante en région – terreau du PQ – et le retour du prétendant au leadership péquiste – que les médias (La Presse en particulier) présentent comme plus populaire que Mme Marois –, les libéraux gagnent du temps afin de paver la voie au futur chef du Parti libéral. Force est de constater que M. Legault a réussi à occuper l’espace médiatique lors du lancement de la CAQ, le 21 février dernier, et qu’il est en bonne position, lui qui a avoué à mots couverts vouloir diriger le Québec « d’ici douze ans », pour menacer à la fois le poste de Gérard Deltell à l’ADQ (moribonde parce que libérale) et surtout celui de Pauline Marois au PQ. La position constitutionnelle attentiste de François Legault a rassuré madame Marois, mais son fragile leadership sera affecté par la tournée publique du chef de la CAQ. Sur le fond des choses toutefois, le vide doctrinal et la pusillanimité intellectuelle du manifeste de cette nouvelle coalition sont d’une évidence solaire et sautent aux yeux des analystes les plus complaisants. Parions sans peur de se tromper que notre preux chevalier, qui combat lui aussi l’extrémisme imaginaire d’une droite morale que personne ne voit mais que tous craignent, mettra finalement (et péniblement) au monde un parti rabougri et fatigué le jour même de sa naissance. Les sondages ont beau avoir confirmé l’insatisfaction de la population et sa volonté de changement, cela n’aura en rien changé la cruelle réalité : ce bon second ne saurait être qu’un mauvais premier. François Legault a prouvé, avec ses multiples tergiversations des derniers mois, qu’il n’avait rien d’un leader. Il faut donc regarder ailleurs lorsqu’il est question d’organisation de la droite au Québec.

Quant aux promoteurs du Réseau Liberté-Québec – lancé efficacement à l’automne 2010 –, ils ont bien choisi leur positionnement stratégique en insistant sur la création d’un mouvement politique, plutôt que de répondre au souhait populaire, mais prématuré, d’un nouveau parti qui serait dirigé par un hypothétique sauveur. Issus de l’ADQ, ils ont tiré la leçon de l’« erreur de jeunesse » de Mario Dumont, qui s’était aventuré, en 1994, à lancer un parti avant même d’avoir établi un mouvement politique conservateur susceptible de créer une masse critique viable (à l’époque, Mario Dumont m’avait approché pour l’aider à fonder ce nouveau parti. J’avais refusé, parce que je croyais – et je crois toujours – que l’aventure était prématurée). Il faut néanmoins souligner le travail remarquable que Mario Dumont a accompli comme chef de l’ADQ. M. Dumont reviendra sûrement un jour en politique active et il récoltera alors les fruits du mouvement qu’il a contribué à mettre sur pied. Quelques semaines avant le lancement officiel du Réseau Liberté-Québec, il fallait lire les nombreux courriels de sympathisants conservateurs traditionnels qui croyaient voir la lumière au bout du tunnel. Ils ont rapidement constaté que cette lumière n’était que le phare d’un autre train fonçant sur eux :

[…] le Québec et le Canada se distinguent des États-Unis […] parce qu’on n’intègre pas tout ce qui concerne la droite morale ou sociale. Donc tout ce qui concerne les discussions sur l’avortement, OK ?, tous ces trucs-là, la religion, ramener Dieu dans les écoles, non, parce qu’on est, nous, pour le principe de la séparation de l’État et de l’Église [sic] (Joanne Marcotte, porte-parole du Réseau Liberté-Québec, émission Morais Live/Radio Ego, 7 septembre 2010).

Une fois de plus, exit la droite morale et les conservateurs dits sociaux ! J’invite cependant ceux qui seraient tentés de jeter la première pierre à Mme Marcotte, d’y penser à deux fois puisqu’en ces temps d’inculture généralisée, elle représente avec talent ce courant populiste qui brille davantage par le courage et la volonté que par la finesse et l’intelligence politique.

Au conservatisme frileux d’un Legault et à celui purement libertarien du Réseau Liberté-Québec, qui contribuent à la création d’une mentalité conservatrice, s’ajoutent un nombre déjà impressionnant d’esprits : Mario Dumont, Jacques Brassard, Denise Bombardier, Joseph Facal, Mathieu Bock-Côté, Jean-Yves Côté et plusieurs autres participent à l’édification d’une droite de plus en plus présente sur la scène médiatique.

Mais une dimension essentielle fait défaut à la plupart des jeunes acteurs de l’action politique au Québec, qui en cela ne se distinguent guère des Joanne Marcotte et des François Legault. Joseph Facal, dans une récente chronique, a clairement identifié cette dimension, pour mieux la discréditer. Je le cite :

Je vois quatre types de droite dans le paysage québécois : une droite économique modérée, une droite libertarienne, une droite nationaliste et une droite morale. […] C’est la droite libertarienne qui fait le plus parler d’elle ces temps-ci […] comme le Réseau Liberté-Québec. […] La droite morale, incarnée par un Mgr Ouellet, ne va nulle part (« Le deuxième front », Journal de Montréal et Journal de Québec, 2 février 2011).

Ce jugement sans appel – « la droite morale ne va nulle part » –, nous l’entendons constamment au sein de l’espace public, tel un mantra. Toutefois, Joseph Facal, même s’il dénie toute pertinence à cette droite morale, a au moins le mérite de reconnaître son existence. Un consensus se dégage ainsi pour diviser la droite en quatre grands courants : économique (libéralisme), individualiste (libertarianisme), nationaliste et moral. Mais on ne doit pas se contenter de les opposer : je propose pour ma part un œcuménisme de droite fondé sur les principes de la droite politique traditionnelle, seule capable d’intégrer le meilleur de chacune de ces tendances, en visant un double objectif commun : combattre efficacement la gauche sur son terrain, et ultimement diriger les affaires publiques en valorisant les libertés et les responsabilités des citoyens dans le respect des règles permanentes de la vie en société.

Forces et faiblesses du conservatisme social

Ceux qui me côtoient savent combien est essentielle pour moi cette droite morale. En réalité, elle constitue, par son attention aux racines, le facteur de cohérence organique de l’ensemble de la droite politique. Il ne peut y avoir de culture sans culte. Les fondements de notre civilisation occidentale sont chrétiens ; le respect du christianisme est une condition sine qua non d’une droite qui veut conserver non seulement la prospérité économique, mais ce qui est au fondement de toute prospérité durable : le souci du bien commun, le respect de la loi naturelle, le sens de la justice.

Je crois que le conservatisme social – très populaire au Canada anglais (l’ancien Reform Party) et aux États-Unis (le Tea Party) – s’exclut lui-même de l’espace public par son positionnement stratégique déficient. Il est trop souvent identifié à un programme désincarné, en rupture avec la réalité. Les réquisitoires du conservatisme social s’enferment dans des combats particularistes contre l’avortement, le « mariage » homosexuel ou l’imposition obligatoire de cours bafouant la liberté de conscience, au lieu d’intégrer ces causes louables à un discours synthétique capable de rejoindre l’électorat conservateur actuel. Les conservateurs sociaux n’investiront l’espace public que s’ils présentent avec succès l’argumentaire intelligible d’une droite traditionnelle et dynamique, économiquement conservatrice, prônant un État qui, en plus de se porter à la défense des intérêts nationaux du Québec, se voudra le gardien du bien commun, un veilleur respectueux des libertés individuelles et collectives (le principe de subsidiarité) et soucieux d’assurer la pérennité de la culture occidentale – gréco-latine et judéo-chrétienne.

Depuis plus de cinq ans, je travaille à lancer un mouvement d’action conservatrice traditionnelle qui s’appuie sur l’expérience historique et ce qu’elle enseigne, dans le but de réhabiliter les institutions nationales, économiques, politiques, morales. Pour agir sur la société civile, nous devons d’abord atteindre une masse critique suffisante. C’est pourquoi cette organisation favorise l’intégration plutôt que l’exclusion, car si la droite québécoise ne réussit pas à s’unir, elle ne parviendra pas à influencer la vie politique. Ce mouvement politique a pour nom « Action conservatrice traditionnelle – ACT ». Il représente aujourd’hui le seul véhicule désireux d’assimiler et d’ordonner le meilleur des diverses tendances de la droite.

Conclusion

Paradoxalement, ce qui apparaît à court terme comme une faiblesse, l’obligation de cohérence et de vérité, constitue à long terme la force de notre mouvement. Le libéralisme se fonde sur l’équilibre plus ou moins instable des intérêts individuels et corporatistes. Cela le condamne au mensonge et à la manipulation. Du côté conservateur, un populisme sans principe ne peut que s’épuiser rapidement, comme on l’a vu avec l’ADQ, ses incohérences philosophiques et politiques ayant eu raison d’un parti pourtant prometteur.

Le vide politique actuel appelle une action conservatrice énergique et bienfaisante. Le temps joue en notre faveur, car la vérité et la cohérence de notre plaidoyer dans l’espace public québécois interpellera graduellement les gens de bonne volonté, toutes ces personnes susceptibles de composer une minorité agissante, capable à son tour de stimuler l’ensemble de la société civile comme le levain qui agit dans la pâte et la fait lever.

Travaillons ensemble à la réédification d’un patrimoine fondé sur la vérité, la justice, la famille et le droit naturel, redonnons à nos enfants les moyens de leurs ambitions… Passons à l’ACT (MouvementACT.org) !

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