Restaurations: Essais politiques et critiques XII. Loi naturelle et religion républicaine

Mise en ligne de La rédaction, le 16 août 2014.

par Jean Renaud

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 44 / ÉTÉ 2014 ]

La religion républicaine

Que la raison, sans s’appuyer sur une révélation, puisse découvrir plus ou moins difficilement les préceptes de la loi naturelle est loin d’être une évidence. Que peut cette pauvre raison humaine laissée à elle-même? La tradition chrétienne, qui affirme (du moins dans sa version catholique) l’existence d’une loi naturelle, n’impose pas à l’ensemble de la société un droit révélé, ou une loi canonique tirée d’une révélation : les deux grandes sources du droit sont pour elle la nature et la raison, terrain commun au croyant et à l’incroyant. Cette «position», plutôt optimiste, est battue en brèche tant par le positivisme ambiant que par le fidéisme inconscient de la plupart des chrétiens. Les modernes, comme ce philosophe scythe raillé par La Fontaine, sont enclins à effacer d’un trait de plume ou par décret les multiples dualités auxquelles est confrontée la vie des hommes. Simplifier ou éradiquer n’est-il pas plus facile (et plus attrayant)? Pourquoi ne pas sacrifier la raison à la foi, la femme à l’homme, l’État à l’Église (ou inversement)? Parce que ce serait faire l’un trop vite Notre tradition occidentale, lorsqu’elle ne se laisse pas endormir par la routine, préfère « composer » qu’opposer ou fusionner (Le mal ne compose pas, disait Claudel). Nous voilà face au grand clivage qui sépare la tradition philosophique occidentale – grecque (platonicienne et aristotélicienne) et catholique – du positivisme moderne au sens large. Ce clivage ne se situe pas entre la raison et la foi, mais entre deux conceptions de la raison, dont l’une d’ailleurs rend impossible tout dialogue entre foi et raison.

La raison garde un accès, aussi modeste soit-il, à la loi naturelle dans la mesure où elle ne ferme pas la porte à la transcendance. La notion de loi naturelle, sans une prise en compte préalable (et rationnelle) d’un Dieu transcendant et bon, aboutit plus ou moins inévitablement au darwinisme social, négation de toute éthique proprement humaine. L’athée, s’il est cohérent, réduira nécessairement la loi naturelle à celle du plus fort (le droit du lion de manger l’antilope est beaucoup plus manifeste que le droit à la vie du fœtus). S’il refuse cette conséquence inhumaine, il aura tendance à opposer l’esprit à la nature (et on a là tout un courant de l’idéalisme révolutionnaire). On voit qu’un nietzschéisme vulgaire et une certaine philosophie des droits de l’homme partagent une même représentation appauvrie de la raison. Car le simple fait de ne plus reconnaître une raison créatrice originelle détermine tout le reste : la raison devient cet accident (admirable ou détestable) qui permet à l’homme de créer (pour le meilleur ou pour le pire) une morale, une technologie et en somme une nouvelle nature.

Une opposition radicale s’en suit entre l’esprit et la vie, entre la raison et le réel, entre le devoir être et l’être, et, selon que nous privilégions l’un ou l’autre, nous serons adeptes d’une force détachée du droit ou d’un droit séparé de la nature. Dans tous les cas, c’est le triomphe de la volonté (à qui ou à quoi d’autre pourrait obéir une raison constructiviste en l’absence de finalités naturelles, sinon à une volonté dispensatrice de fins). Ce développement rejoint, on ne l’a pas assez noté, une conception fidéiste de Dieu comme potentia absoluta, propre à l’islam, mais qui hante et parasite le christianisme depuis la fin du Moyen Âge.
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