Le siècle, les hommes, les idées. Justin Trudeau ou le dernier avatar du libéralisme catholique (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 16 août 2014.

par Luc Gagnon

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 44 / ÉTÉ 2014 ]

Justin Trudeau

Dans L’Illusion libérale, en 1866, Louis Veuillot avait bien saisi l’âme du catholicisme libéral : «Le libéral catholique n’est ni catholique ni libéral. Je veux dire par là, sans douter encore de sa sincérité, qu’il n’a pas plus la notion vraie de la liberté que la notion vraie de l’Église […]: sectaire, voilà son vrai nom.» L’ukase de Justin Trudeau du 7 mai dernier, excluant tout candidat pro-vie du Parti libéral du Canada (PLC) pour les élections générales de 2015, relève de ce sectarisme démocratique qui rejette dans les marges sociopolitiques les citoyens fidèles à leur baptême et à Rome.

C’est la dernière étape du vieux débat entre les libéraux et les ultramontains dont on peut situer le début symbolique en 1832, avec la condamnation de Lamennais et de ses amis libéraux de L’Avenir par le Pape Grégoire XVI. Les militants pro-vie se réclament toujours de l’enseignement romain et des récents pontifes, particulièrement Jean-Paul II, Benoît XVI et François Ier, alors que les catholiques libéraux comme Pierre Elliott Trudeau, Jean Chrétien, Paul Martin et Justin Trudeau affirment la primauté de la liberté et du «droit de la femme à choisir», selon une morale qui évolue avec les mœurs contemporaines. Justin Trudeau répète comme un mantra cette formule qui découlerait de la Charte des droits de l’homme sans Dieu (DHSD), nouveau Décalogue canadien promulgué par son père en 1982, et de la décision Morgentaler émise en 1988 par la Cour suprême en faveur du membre distingué de l’Ordre du Canada.

Le fils Trudeau n’inaugure rien du tout au PLC, puisqu’il ressert les même phrases vides d’un Paul Martin, bon catholique pratiquant, Franco-Ontarien diplômé de Saint Michael’s College, qui refusait même de prononcer le mot «avortement» avec sa gaucherie linguistique caractéristique, surtout en français, vulgaire patois qui ne sert à rien pour parler des «vraies affaires», c’est-à-dire de bateaux immatriculés dans des paradis fiscaux, acquis de façon douteuse d’un autre grand Franco-Ontarien récemment décédé. Plutôt que de dire «concernant l’avortement», il employait systématiquement la formule «concernant le droit de choisir». Son succès était assuré avec une rhétorique pareille, face à des adversaires conservateurs faibles et pusillanimes qui voulaient également éviter la question compromettante de l’infanticide d’une nation et n’osaient même pas lui demander ce qu’il entendait précisément par ce «droit de choisir» crypté.

Quelques évêques canadiens-anglais sont cette fois-ci sortis de leur torpeur pour protester contre la relégation sociologique des citoyens catholiques, bien que l’arrogant Trudeau II prétende encore obtenir le vote des électeurs catholiques tout en excluant les candidats provie, donc les candidats catholiques qui suivent la doctrine de Rome et des évêques canadiens-anglais! Il pense que les catholiques sont bêtes à ce point et il a probablement raison: les bons catholiques canadiens-français (hors Québec), italiens et irlandais continueront de voter massivement pour le PLC; quant aux députés libéraux catholiques pro-vie comme Kevin Lamoureux et Lawrence MacAulay, ils se sont déjà rangés derrière leur chef pour une poignée de dollars, c’est-à-dire leur salaire de backbencher et leur pension. L’archevêque de Toronto, le cardinal Thomas Collins, a envoyé une lettre publique à Justin Trudeau le 14 mai dernier pour défendre la liberté de conscience des hommes politiques catholiques, mais la porte-parole du chef libéral a poliment envoyé paître le prélat en indiquant qu’il avait «la liberté d’exprimer ses profondes convictions», mais que le PLC et son chef n’ont nullement l’intention de changer leur position proavortement. L’archevêque d’Ottawa, Mgr Terrence Prendergast, s’est contenté de rappeler l’importance d’adhérer à l’enseignement de l’Église catholique dans les questions morales pour rester en pleine communion avec l’Église, mais il a précisé au Catholic Register (de Toronto) qu’il n’entendait pas interdire la réception de la sainte communion à Justin Trudeau, qui dit avoir reçu une éducation «très religieuse et très catholique» et qui se présente encore comme un fidèle catholique.

Le maître des catholiques libéraux canadiens, Wilfrid Laurier, avait facilement manipulé les évêques à la fin du XIXe siècle en prétendant séparer le libéralisme religieux et le libéralisme politique, ce qui lui avait permis de régner de 1896 à 1911 au poste de premier ministre du Canada. Le jeune Trudeau va sûrement réussir à traverser sans difficulté le champ de ruines qu’est l’actuelle Église catholique canadienne, mais les évêques commencent à comprendre que le catholicisme, aujourd’hui, doit être contreculturel, que les chrétiens doivent découvrir leur originalité face au monde, comme l’a enseigné le Pape Benoît XVI, qui a inauguré son pontificat antimoderne en critiquant la «dictature du relativisme». Même l’archevêque de Québec, le cardinal Gérald-Cyprien Lacroix, a subi l’agression d’un membre de la secte ukrainienne des Femen alors qu’il lisait un message du Pape François sur la Colline parlementaire d’Ottawa à l’occasion de la Marche nationale pour la vie le 8 mai dernier: l’activiste féministe nue et enragée a été rapidement libérée sans aucune amende après son arrestation par les forces policières. Qui se souvient du militant pro-vie québécois Michel Tissot qui a été emprisonné durant huit mois pour avoir manifesté pacifiquement devant la clinique de Morgentaler sur le trottoir du boulevard Saint-Joseph à Montréal ? La vie chrétienne est un chemin de croix et non pas un banquet des Chevaliers de Colomb. Peutêtre que les évêques canadiens, et même ceux du Québec, comprendront un jour que le bienheureux Pape Pie IX n’était pas si fou de condamner, dans son glorieux et prophétique Syllabus errorum, l’idée selon laquelle le «pontife romain peut et doit se réconcilier et composer avec le progrès, le libéralisme et la culture moderne».

L’édit de Justin Ier nous permet de sortir du dangereux irénisme dans lequel s’est embourbé le catholicisme canadien et québécois, imbibé de libéralisme et d’autosatisfaction. Que dirait aujourd’hui le catholique libéral bon teint Claude Ryan qui pontifiait ainsi dans son Testament spirituel: «celui qui s’engage dans la politique découvre rapidement que les occasions de se porter explicitement à la défense de la religion dans ce milieu sont assez rares» (Novalis, 2004, p. 47). Il ne s’est même pas aperçu que le système scolaire catholique était en voie de déconfessionnalisation avancée alors qu’il a dirigé de nombreuses années le ministère de l’Éducation du Québec sous Robert Bourassa, jusque dans les années 1990. Un peu après son départ, la ministre de l’Éducation Pauline Marois et le Parti Québécois du premier ministre «conservateur» Lucien Bouchard ont laïcisé totalement l’enseignement à la suite de l’amendement constitutionnel de 1997, qui a reçu le placet des évêques du Québec et du cardinal capitulard Jean-Claude Turcotte, à la plus grande joie et stupéfaction de Stéphane Dion, alors ministre fédéral des Affaires intergouvernementales. Espérons que l’Église, agressée frontalement par un admirateur de la Chine «démocratique», ne tombera plus dans de telles trappes, sous la direction de pasteurs moins lymphatiques et plus courageux qui commencent à réagir à la lente et silencieuse apostasie d’une nation.

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