In memoriam: Benoît Lemaire (1929-2014) – L’homme des cimes (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 18 mai 2014.

par Patrick Dionne
(Allocution prononcée lors des funérailles de l’abbé Benoît Lemaire le 22 février 2014)

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 44 / PRINTEMPS 2014 ]

Benoît Lemaire

Je me suis souvent demandé si mon ami Benoît Lemaire appartenait à la terre, tellement son regard de braise et d’azur, où la lumière était reine, évoquait les réalités d’un autre monde, vaste, magnifique, immaculé, qui paraissait être sa vraie patrie. À certaines heures, j’y ai vu passer les anges, frémir l’aube des jours, scintiller les lueurs du Royaume. Les êtres d’exception composent des hymnes avec toute chose, à leur insu. Benoît Lemaire en composa toute sa vie – une parole, un sourire, un geste lui suffisaient –, vie que je qualifierais, selon le mot d’André Désilets, de «liturgie charnelle». Benoît Lemaire parlait du ciel parce qu’il avait des racines terrestres. Parce qu’il a aimé la Création, la vérité, les hommes, le bien. Il respirait la quiétude, l’autorité, la force des Anciens (je lui trouvais, avec l’âge, une parenté de plus en plus frappante avec Hilaire de Poitiers), ces vertus oubliées que nos temps hystériques confondent avec l’ennui, l’esclavage, la violence. Ses fondations étaient inébranlables. Il ressemblait à une chapelle sans âge, humble et ardente, aux vitraux éclatants, qui appelle la grâce et la diffuse, d’où l’encens s’élève avec la prière, jour et nuit.

Je pourrais louer sa patience, ses dons d’orateur, son humour, sa délicatesse, sa piété; je louerai sa conversation, art perdu entre tous. Les nôtres duraient des heures. Pascal, Maurras, Port-Royal, saint Irénée, les liens entre le bréviaire et le sacerdoce, les distinctions entre la prière personnelle et la prière de l’Église, son cher Gustave Thibon constituèrent la trame de notre ultime entretien. Il écoutait, interrogeait, s’exclamait comme un jeune homme, lançait une anecdote ou une boutade avec science et espièglerie, freinait charitablement mes envies de rosser un cuistre… À ses yeux, les œuvres de l’intelligence servaient à fortifier les âmes, à les amener à cette vérité qui, comme le savait Nicolás Gómez Dávila, est une personne. Car Benoît Lemaire était un serviteur de l’Église catholique romaine, un prêtre, un être impossible, suspendu entre le visible et l’invisible, tenant une position intenable, mais si haute, si proche du ciel! Et c’est là, au bord du ciel, qu’il habitait. Benoît Lemaire était un homme des cimes. Un homme d’espérance. Il a aimé le Dieu vivant, le Dieu ressuscité. Il est aujourd’hui à ses côtés, avec les bienheureux, au delà des étoiles, jusqu’à la fin des siècles, prêt à intercéder pour nous. Celui qui était un passeur dans le temps devient un intercesseur dans l’éternité.

Quant à moi, je ne mesure pas encore tout ce que je lui dois. Mais à quoi bon les exercices comptables en ces matières? Une âme de cette trempe brise les cadres ordinaires: un homme incarné est un homme en qui les noces du ciel et de la terre sont consommées. Tel fut Benoît Lemaire. Et sa vie, je crois, peut se récapituler dans ce distique que Novalis proclama à la gloire de Jésus-Christ:

«Pourvu que Lui, je l’aie,
Je fermerai mes yeux content.»

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