Deux diagnostics sur les dernières élections québécoises: Docteur Philippe Couillard, directeur du grand hôpital Québec (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 18 mai 2014.

par Luc Gagnon

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 44 / PRINTEMPS 2014 ]

Philippe Couillard

Les élections québécoises du 7 avril 2014 ont porté au pouvoir un gouvernement majoritaire du Parti libéral du Québec (PLQ) avec 42% d’appui face aux fantasmagories pseudo-identitaires du Parti Québécois (PQ), qui obtient, avec un peu plus de 25%, son taux le plus faible depuis sa première campagne électorale en 1970. Dans un rare moment de lucidité, Louise Harel constate l’échec de la stratégie des machiavéliens à la petite semaine du Journal de Montréal qui ont voulu bêtement copier les républicains français anti-islamiques: «Le projet de charte n’était pas suffisant pour que le PQ fasse le plein de votes, mais il a été suffisant pour que plein de monde vote massivement contre lui» (La Presse, 9 avril 2014, p. A3). Les candidates les plus fanatiquement antireligieuses et pro-Charte comme Djemila Benhabib et Louise Mailloux ont heureusement été rejetées par l’électorat, bien que Benhabib, Algérienne qui veut donner des leçons de laïcité et de démocratie aux Québécois, fût parachutée pour une deuxième fois en moins de dix-huit mois par la cheftaine Pauline dans une circonscription canadienne-française, potentiellement gagnante pour le PQ, où elle n’avait jamais posé les pieds.

Le Dr Philippe Couillard nous libère d’une menace référendaire et de la Charte antireligieuse péquiste, mais il nous fait entrer dans l’ère du grand hôpital québécois, incluant l’euthanazisme. Les dépenses du système de santé occupent plus de 50% du budget québécois et c’est le Dr Couillard, alors ministre de la Santé du gouvernement Charest, qui avait concocté en 2006 avec le pesant lobbyiste médical Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), une augmentation de 40% du salaire des médecins spécialistes dont le revenu annuel moyen dépasse aujourd’hui les 350 000$. Seulement en 2014, l’augmentation Barrette-Couillard va coûter 540 M$ au trésor québécois, ce qui contribue à étrangler le gouvernement, à tel point que la première ministre Marois avait supplié – en vain – les généreux médecins d’étaler leur augmentation salariale sur quelques années. Couillard le lobbyiste (ce fut sa glorieuse profession dès qu’il a quitté le ministère de la Santé en 2008) a appuyé tout au long de la campagne cette hausse fulgurante. Il faut dire que les scrupules ne rongent pas le Dr Couillard quand il est temps de faire de l’argent avec la maladie des autres, comme le prouvent ses années de pratique de la neurochirurgie au service des pauvres démocrates pétroliers de l’Arabie Saoudite qui pompaient son salaire directement vers le paradis fiscal de Jersey. Notre docteur fort en thème n’a pas tout à fait le profil d’un médecin sans frontières! Son association avec le prisonnier panaméen et médecin Arthur Porter au sein de la firme Couillard, Porter et associés en 2010 ne constitue pas non plus un gage de service du bien commun, mais indique plutôt une recherche effrénée de l’argent.

Son collègue Barrette pèse encore plus lourd avec son salaire annuel de 650000$ en tant que lobbyiste de la FMSQ et sa prime de départ de 1,2 M$ après seulement sept ans de «service»: il faut admettre qu’il a réussi à vider les comptes de l’État au profit des pauvres médecins syndicalistes affamés. On donne maintenant toutes les clefs aux lobbyistes médicaux pour siphonner les fonds de l’État québécois au nom de la religion médicale et hygiéniste en augmentant sans limite les coûts de la santé, qui atteindront prochainement de 60% à 70% du budget québécois. Le Dr Couillard s’est d’ailleurs bien gardé d’établir quelque balise que ce soit quant à son cadre financier: il a surtout indiqué qu’il demanderait un bilan des comptes publics au vérificateur général du Québec. Il s’est gardé une marge de manœuvre pour dépenser, surtout en santé, et favoriser sa corporation et sa future carrière de lobbyiste médical après la politique. Il faudra surveiller de très près le duo Couillard-Barrette dans cette perspective d’un enrichissement personnel post-politique, la nouvelle obsession des arrivistes qui savent très bien que l’argent ne se fait pas durant le mandat électoral, mais à la retraite. Pensons à Nicolas Sarkozy, qui brûlait d’aller «faire du pognon dans le privé» quand il était président de la République: il obtient maintenant plus de 100000 euros par conférence grâce à son aura présidentielle, et des montants astronomiques pour négocier des contrats internationaux au nom de «familles amies» comme les Desmarais du Canada.

La cupidité de la technocratie médicale est insatiable, comme l’a indiqué dès le lendemain de la victoire libérale Diane Francoeur, la lobbyiste qui a succédé au Dr Barrette et qui fut son adjointe durant trois ans à la FMSQ: elle veut «atteindre la parité salariale avec le reste du Canada». C’est le mantra qui est continuellement répété par Barrette-Couillard depuis une dizaine d’années pour justifier toutes les hausses salariales des médecins, sans tenir compte du fait que le Québec est une des provinces les pauvres, notamment à cause de la lourdeur de l’appareil gouvernemental et thérapeutique, et que les réalités économiques diffèrent d’un endroit à l’autre: la (très confortable) maison du médecin spécialiste de Matane coûte vingt fois moins cher que celle du médecin du centre-ville de Toronto, mais il devrait gagner le même salaire d’après les lobbyistes affamés de la FMSQ, qui sont socialistes pour le système, mais ultracapitalistes pour leur portefeuille.

Le PQ présentait de son côté une autre menace sérieuse avec Pierre-Karl Péladeau, version québécoise de Berlusconi, d’autant plus dangereux que son pouvoir médiatique et financier s’étend sur une petite province vulnérable. Il contrôle plus de 40% des médias québécois, dont TVA, la chaîne télévisuelle la plus importante, qui n’est concurrencée que de loin par Radio-Canada, réseau continuellement affaibli financièrement par le gouvernement conservateur et noyauté par les séparatistes depuis René Lévesque en passant par Normand Lester jusqu’aux ex-ministres péquistes Pierre Duchesne et Bernard Drainville. Certains journalistes canadiens-anglais ont encore voulu hâtivement décréter la mort du séparatisme, mais la défaite brutale de Pauline Marois n’est qu’un épiphénomène dans l’onirique «Marche vers l’indépendance». L’arrivée de PKP a changé fondamentalement le contexte politique; il pourrait très bien générer en quatre ans une vague de fond indépendantiste d’autant plus qu’il disposera de tous les leviers de son empire médiatique en tant que simple député d’opposition. À cinquante-deux ans, cette défaite péquiste n’est pas réellement une catastrophe politique pour lui, elle ne fait que modifier légèrement sa course vers le pouvoir et la réalisation de son rêve, la présidence de la République laurentienne, qui sera peut-être rebaptisée Québecor. L’appui à l’indépendance reste solide à environ 40% malgré la débâcle péquiste puisqu’il se répartit entre le PQ (25%), la Coalition Avenir Québec (CAQ, 23%, partiellement souverainiste) et Québec Solidaire (QS, 7,6%).

Le comptable et gestionnaire François Legault semblait avoir les mains moins liées que ses opposants pour diriger la province, mais il ne s’est pas attaqué ouvertement à la vache sacrée médicale, et au salaire indécent des médecins, tout en critiquant faiblement l’obésité de l’État québécois. Sa position constitutionnelle opportuniste d’un moratoire de dix ans sur un référendum au sujet de l’indépendance ne peut motiver personne; M. Couillard et Mme Marois défendaient des positions plus claires: le fédéralisme ou l’indépendance. M. Legault a été desservi par son autocratisme durant la campagne. Il paraissait fort isolé, mal conseillé – ou pas conseillé du tout – avec des slogans et des exhortations bêtes et vulgaires («Donnons-nous Legault», «Bottez-vous le derrière», etc.), qu’il a proférés surtout quand son bateau coulait au milieu de la campagne. Il ressemblait à un Mario Dumont parvenu, plus âgé et moins authentique, compromis par un passé de ministre péquiste, mais tout aussi seul que Super Mario, sans équipe pour gouverner le Québec, isolement manifesté par la désertion de Barrette. Sa belle remontée finale le sauve du naufrage, mais y a-t-il un avenir pour la CAQ, parti d’un comptable sans imagination et sans vision qui ne peut susciter l’enthousiasme, face au puissant PQP et au stable PLQ?

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