À la pointe du calame. Éclats de l’Athos (première partie)

Mise en ligne de La rédaction, le 16 février 2014.

par Nicolae Popescu

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 42 / HIVER 2013-2014 ]

Au Mont Athos

Au père Michel dont la bénédiction traverse les fenêtres

Prologue
Les aéroports sont devenus des dépotoirs, un ramassis de ce que la civilisation sécrète et rejette. Pris en charge, minorisés, traînés comme des forçats, on y régresse et dessine, sous la tutelle des nouveaux dieux, de véritables figures mythologiques. Au bout du labyrinthe pourtant, il n’y a plus d’envol. On m’annonce sans préavis ni autre politesse que le parcours a été, pour ainsi dire, dévoyé, et homo viator, éconduit. Je rêve de lumens orientalis, le préposé m’indique le sens contraire, l’impasse où elle s’éteint. Je vise la cime de l’Athos, et me ramasse sur le tarmac de Toronto. S’éloigner du but, pour commencer… Après certaines compensations à vocation pacifiante, j’aboutis à bon port avec trois heures de retard. On s’en fait indûment et sans fin. L’ordre des grandeurs est aboli, les proportions ne sont plus justes. Il est vrai que le bagage n’a pas suivi. Mais on s’encombre toujours trop et nos épaules en portent plus qu’il ne faut.

Je m’apprête à prendre le dernier vol. Surgit un moine qui semble partager la même destination. Joie parfaite. Signe indubitable. Le teint de sa peau, le blond-roux de ses cheveux et de sa barbe, la forme de sa coiffe – de sa kamilaphe –, tout indique qu’il est roumain ou russe. Comment en être sûr? Comment l’aborder et que lui dire? Le temps de passer le contrôle, il disparaît. Dans l’immensité de l’aérogare, où le retrouver sinon à la porte d’embarquement? En quelque sorte, au seuil du ciel. Afin de passer le temps, la marche sied au pèlerin. Au détour d’un couloir, un coup d’œil jeté au hasard révèle, non sans étonnement, que le moine fait des emplettes hors taxes. Je m’approche. Le moine jette son dévolu sur deux bouteilles de vodka et quelques friandises. La cause est entendue. J’essaie de lui sourire le plus courtoisement du monde. Il reste de glace. Il prend en fait un autre vol que le mien. Les voies, fussent-elles détournées, demeurent impénétrables, et le chemin n’en est que plus beau.

Première nuit
Embarquement à Ouranopolis. La mer est un miroir profond, invitant. Le vent rafraîchit les visages et nourrit le sang. Un moine serbe, colosse calme et distingué, choisit le bastingage à tribord, à l’ombre. Le ferry-boat avance sans se presser. Un adolescent trisomique croise le moine, lui sourit, le dépasse, se retourne et poussé par on ne sait quelle inspiration, se signe trois fois. La joie brille sur son visage. Le moine reste impassible. À défaut de pleurer, je souris. La joie est partagée.
(…)

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