Laïcité ou haine antireligieuse? (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 16 février 2014.

par Luc Gagnon

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 42 / HIVER 2013-2014 ]

Haine antireligieuse?

Les débats autour de la charte péquiste sur la laïcité font ressurgir le subconscient religieux du Québec, enfoui depuis la Révolution tranquille. Le Québec n’est toujours pas réconcilié avec son passé, et particulièrement avec sa mère fondatrice, l’Église catholique romaine. Dans les années 2000, le pauvre cardinal Marc Ouellet avait reçu une avalanche d’insultes à la suite de la publication d’une lettre d’excuses concernant les erreurs prétendument commises par l’Église du Québec avant 1960: il avait mal mesuré la haine secrète que nourrissent encore beaucoup de Québécois, surtout âgés, à l’égard de l’Église et des prêtres. L’Église du Québec, dirigée par le cardinal Léger, a tout simplement capitulé devant les forces laïcistes dans les années 1960 en cédant ses institutions à l’État et en dissolvant son identité chrétienne dans la bonhomie ambiante. Toujours dans les années 1960, les militants laïcistes les plus lucides, comme Jacques Godbout, ont rapidement quitté l’agressif Mouvement laïque de langue française: on ne tire pas sur un corbillard. L’Église québécoise s’était sabordée sans combattre, les centres commerciaux attiraient plus de fidèles que les églises: le MLF allait tomber entre les mains de maniaques antireligieux oligophrènes comme Daniel Baril, qui dirige encore le mouvement quarante ou cinquante ans plus tard, ce qui en indique bien la pertinence, plus liée au sectarisme qu’à la politique.

La Charte de la laïcité vient réveiller ces vieux démons en prétendant vouloir clarifier les règles du «vivre ensemble» de la société québécoise et mettre fin à la problématique des «accommodements raisonnables», qui touchent surtout les communautés ethniques minoritaires comme les Juifs hassidiques et les musulmans de Montréal. Première ministre Marois et son ministre Drainville, en apprentis sorciers, ont ouvert la boîte de Pandore du subconscient québécois et des droits religieux pour quelques problèmes particuliers montés en épingle qui remontent souvent à plusieurs années: la vitrine d’un YMCA à Outremont, quelques femmes musulmanes qui réclamaient des piscines non mixtes et des médecins de sexe féminin, un Juif hassidique en état d’infraction qui n’a pas voulu parler à une policière… Les laïcistes pathologiques veulent profiter de cette hystérie collective pour détruire ce qui peut rester de la mémoire chrétienne dans l’espace social. Lise Payette a récemment demandé dans Le Devoir, le journal fondé en 1910 par Henri Bourassa pour défendre les droits des Canadiens français et de l’Église catholique, que toutes les rues et tous les villages du Québec soient débaptisés au nom de la laïcité: il faudrait rayer de la carte Sainte-Émélie-de-l’Énergie, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, la rue Sainte-Catherine, la station de métro Lionel-Groulx, etc. Même RBO n’a jamais imaginé un plan aussi grotesque et stupide. Le maire catholique de Saguenay, Jean Tremblay, nous a pourtant avertis il y a des années que l’objectif des laïcistes est d’éradiquer tous les signes religieux dans la province: la prière au début des réunions des conseils municipaux, le crucifix de l’Assemblée nationale, les noms chrétiens des lieux publics, les croix de chemin et les églises elles-mêmes.

L’odieux visage de la haine antireligieuse et du provincialisme s’est manifesté bruyamment lors de la récente sortie de Janette Bertrand, la papesse octogénaire de la vulgarité et de l’exhibitionnisme, qui affirmait à l’émission radio-canadienne Tout le monde en parle du 20 octobre 2013, sous les applaudissements du cégépien Guy A. et de sa troupe, que «toutes les religions haïssent les femmes», pour expliquer son rejet radical du voile musulman, son refus d’être soignée à l’hôpital par une femme voilée et son appui total à la charte péquiste. Le message inconscient de Janette était évidemment: Je hais toutes les religions. Logiquement, si «toutes les religions haïssent les femmes», n’est-il pas moralement juste que toute personne, spécialement une femme, abhorre toutes les religions? Son amie Denise Filiatrault, qui n’est pas beaucoup plus jeune, a ajouté, en tant que signataire du «Manifeste des Janette», que les femmes voilées étaient tout simplement «folles»: envoyons donc les femmes musulmanes voilées à l’asile. Il est d’ailleurs révélateur que la militante antimusulmane et antireligieuse Djemila Benhabib soit un des membres les plus actifs du mouvement des Janette, elle qui se spécialise dans l’importation des conflits religieux de l’Algérie, son pays natal, en total déphasage par rapport à la réalité québécoise.

Ces militantes féministes un peu fatiguées sont essentiellement motivées par la haine antireligieuse: le voile musulman représente pour elles la religion, qu’elle soit chrétienne, musulmane ou juive, et la société traditionnelle, que les femmes musulmanes voilées acceptent. Les chrétiens ne doivent pas céder à de tels sentiments xénophobes et nous devons voir que nous sommes également visés à court terme par le projet de loi du PQ. Pour l’instant, les conséquences de la charte sur les chrétiens ne semblent pas très importantes, mais il faut penser à ce que cela annonce. La logique laïciste pourrait mener rapidement à des résultats catastrophiques pour le christianisme. Prédisons, par exemple, la sortie complète de la religion des hôpitaux, des CHSLD et des prisons, desquels seront chassés les aumôniers et fermées les chapelles, la fin du financement des écoles privées d’intérêt public de tradition catholique – où des religieux et des religieuses exercent encore parfois un apostolat en habit religieux, comme au Collège Jean-de-Brébeuf et à l’École Marie-Clarac (un objectif caché de la gauche péquiste) –, la suppression des privilèges fiscaux accordés aux religions, ce qui entraînerait la fermeture de nombreuses églises à Montréal et en province. Les chrétiens doivent savoir qu’ils sont dans le collimateur de la charte péquiste tout autant que les musulmans ou les Juifs. Quand les droits religieux sont violemment et clairement attaqués, les chrétiens ont le devoir de résister, comme l’ont rappelé dernièrement les archevêques de Québec et de Montréal. L’exemple du crucifix de l’Assemblée nationale devrait nous faire réfléchir. Le PQ promettait dans la première version de la charte qu’il ne serait pas déplacé, mais il n’a fallu que quelques semaines, des interventions pontificales de Parizeau et de Bouchard s’appuyant sur des déclarations inconsidérées de certains évêques capitulards comme Mgr Pierre Morissette et de «nombreux courriels» envoyés au gouvernement péquiste lors d’une consultation bidon, pour que le ministre Drainville révise ses «convictions» et propose finalement de reléguer le crucifix au musée.

Interdire tout signe religieux au travail à ceux qui sont reliés de près ou de loin à l’État constitue une grave et réelle entrave à la liberté religieuse dans le contexte québécois, où le gouvernement étend ses tentacules dans tous les domaines, du berceau jusqu’à la mort. Les professeurs n’ont jamais été considérés comme des fonctionnaires, sauf dans la République maçonnique française et dans les régimes totalitaires comme l’heureusement défunte URSS, où les élèves devaient voter pour la non-existence de Dieu; cependant le PQ veut imposer son code vestimentaire à tous les enseignants du Québec parce qu’ils seraient en position d’autorité. Le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec a souligné avec vigueur que les médecins n’ont jamais été des employés de l’État et qu’ils étaient tout à fait libres de s’habiller comme ils le voulaient. La gardienne d’enfant musulmane va être renvoyée à la rue par son centre de la petite enfance étatisé si elle refuse d’enlever son voile. Voilà en quoi consiste la gratitude du PQ à l’égard des musulmans, alors que ce parti a fait entrer des centaines de milliers de Maghrébins au pays pour sauver la francophonie québécoise depuis la «glorieuse victoire de 1976»: c’est peut-être ainsi que les gouvernements québécois ont comblé l’exode d’un million d’anglophones de culture occidentale établis dans la province depuis deux siècles. Le Québec s’est-il renforcé après avoir légiféré en fonction de cette autre obsession collective, la haine de l’Anglais et de la langue anglaise? Le ressentiment et la peur ne peuvent fonder une action politique.

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