Le combat de Vladimir Soloviev

Mise en ligne de La rédaction, le 9 août 2013.

par André Désilets

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 40 / ÉTÉ 2013 ]

Vladimir Soloviev

«On dit que notre Église est inefficace, momifiée, alors que c’est nous qui sommes des cadavres et que l’Église est la vie.»
Nicolas Gogol

Le génie de Vladimir Sergueïevitch Soloviev (1853-1900), l’élévation et la générosité de son âme sont d’une évidence criante pour ceux qui l’ont connu, mais aussi pour ceux qui se sont penchés sur son œuvre, l’une des plus marquantes du XIXe siècle. Son nom, dit-on, se place «à côté de ceux de Pouchkine et de Dostoïevski, de Carlyle et de Newman». Reconnu comme l’un des principaux «prédicateurs-prophètes» de la «nouvelle conscience religieuse», l’auteur de La Justification du Bien présente une philosophie étrangère au populisme comme au marxisme, une philosophie que l’on ne peut transformer en instrument de lutte politique sans tricher grossièrement. C’est dire que Soloviev ne correspond pas au portrait type de l’intellectuel, dans la mesure où celui-ci se voit comme une sorte de prêtre laïque qui, préoccupé seulement par les formes extérieures de l’existence sociale, s’imagine que révolution et révélation sont synonymes.

Ainsi le Soloviev qui me parle vraiment n’est pas l’idéologue, le romantique, l’avant-gardiste, le séducteur, le nationaliste, ni le «faiseur de phrases» (Villiers) à la mode dans les cercles littéraires et politiques, ni même le savant professeur d’université. C’est le pèlerin qui, découvrant la persistance du mal dans l’histoire, abandonne sa toge de philosophe optimiste et renonce à son utopie théocratique, à ses grandes visions d’une Histoire qui serait la réalisation inévitable du Bien sur terre. D’ailleurs, Soloviev l’a reconnu: la fonction de l’État, disait-il, n’est pas de transformer la société en paradis, mais d’éviter qu’elle ne devienne un enfer. Et dans cette optique, la philosophie, selon lui, postule le dépassement de la loi du monde par Celui qui a dit «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie». L’auteur du Récit sur l’Antéchrist n’écrivait-il pas au jésuite Paul Pierling: «Pourquoi ne pas admettre l’idée que, sans être moine, je puisse, comme vous, n’avoir pas de cité permanente ici-bas?» «Spirituellement, ajoute son ami le prince Eugène Troubetskoï, [Soloviev] rappelait ce type d’errant, créé par la Russie vagabonde, qui va cherchant la Jérusalem céleste; errant sur la terre immense, il honore et vénère tous les lieux saints, mais ne demeure pas longtemps dans aucun logis d’ici-bas».

Durant sa vie, Vladimir Soloviev témoignait de l’essentiel: il brûlait du feu de l’âme. Mais il faut reconnaître que ce déconcertant pèlerin, qui a exercé une influence considérable sur toute une lignée de penseurs russes jusqu’à nos jours, soulevait aussi des tempêtes tant du côté des libéraux que des slavophiles.
(…)

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