Le siècle, les hommes, les idées. L’école catholique, cette brebis galeuse (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 21 avril 2013.

par Richard Bastien

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 39 / PRINTEMPS 2013 ]

Les armoiries de Loyola High School

Le 4 décembre 2012, la Cour d’appel du Québec a rendu un important jugement sur le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR). On sait que depuis 2008, le ministère de l’Éducation oblige toutes les écoles à offrir ce cours.

Le jugement met en cause la Loyola High School, une école catholique ayant sollicité du ministère de l’Éducation l’exemption d’inclure le cours ÉCR dans son enseignement. Son motif était qu’elle offrait déjà un cours sur les différentes religions et philosophies morales, dont l’objectif est le même que celui du cours ÉCR, à cette différence près qu’il est donné selon une perspective catholique. Le ministère a refusé d’acquiescer à cette demande, arguant que le cours de Loyola, imprégné de l’esprit et de la pédagogie catholique, ne pouvait être considéré comme équivalent à celui d’ÉCR.

Loyola soutient que cette décision porte atteinte à sa liberté religieuse puisqu’on lui impose d’enseigner en faisant fi de la foi catholique. Même si elle souscrit à l’idée d’un enseignement impartial et objectif sur les religions et l’éthique, Loyola affirme qu’on ne saurait la forcer à ignorer sa mission et ses valeurs, soit son identité même. Prendre sa foi au sérieux, c’est justement apprendre à voir la réalité en fonction de ce que l’on croit, la foi projetant son éclairage sur les choses.

En 2010, dans une cause l’opposant au ministère de l’Éducation, l’école Loyola a obtenu de la Cour supérieure du Québec un jugement reconnaissant son droit de substituer au cours ÉCR son programme de culture religieuse. Dans son jugement, la Cour supérieure a même soutenu que les directives du ministère de l’Éducation – obliger Loyola à offrir un enseignement contraire à sa pédagogie catholique – étaient d’inspiration «totalitaire». Toutefois, la Cour d’appel vient d’infirmer ce jugement en reconnaissant à l’État le droit de contraindre une école catholique à offrir le cours ÉCR, même si celui-ci est incompatible avec sa pédagogie.

Comme le souligne sur son site Douglas Farrow, professeur à l’Université McGill et témoin expert au procès, les deux jugements, contradictoires, soulèvent plusieurs questions, mais il y en a au moins deux qui sont fondamentales du point de vue de la liberté de religion.

La première est de savoir si le ministère de l’Éducation et la Cour d’appel sont justifiés de prétendre qu’il y a incompatibilité entre la volonté de Loyola de maintenir une pédagogie catholique dans son enseignement sur les religions et l’éthique, d’une part, et d’autre part, sa fidélité proclamée aux deux objectifs du cours ÉCR, à savoir «la reconnaissance des autres et la poursuite du bien commun»? Si la réponse est positive, ce n’est pas seulement le cours sur les religions et l’éthique de Loyola qui devient inacceptable, mais tout enseignement catholique sur quelque sujet que ce soit. Pourquoi en effet l’État reconnaîtrait-il officiellement un enseignement qui met en doute «la reconnaissance des autres» et refuse de coopérer à «la poursuite du bien commun»?

La deuxième question est plus importante encore: l’État peut-il obliger une école confessionnelle à faire abstraction de son identité et de ses croyances et à se conformer au diktat du ministère de l’Éducation pour certaines activités pédagogiques? Et si tel est le cas, quelles en sont les répercussions concernant le respect de la liberté de religion?

Sans doute y a-t-il des circonstances particulières où l’État est appelé à obtenir des accommodements d’une confession religieuse pour faciliter la poursuite du bien commun. En temps de guerre, par exemple, il pourrait demander que les soldats soient exemptés de certaines obligations religieuses. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce que la Cour d’appel exige, c’est que Loyola fasse quelque chose que la conscience catholique réprouve, à savoir enseigner que toutes les religions se valent, y compris l’islam qui n’admet pas de séparation entre l’Église et l’État et considère la femme comme inférieure à l’homme, l’hindouisme qui établit des castes, et le bouddhisme qui est foncièrement athée.

Ce qui est contraire à la liberté religieuse, ce n’est pas que le cours ÉCR oblige les enseignants à présenter des cultures religieuses et des idées morales de manière juste et objective – une exigence parfaitement raisonnable en soi –, mais qu’il les oblige à adopter une attitude de complète neutralité à l’égard de leur contenu. Dans le cas d’une école catholique, une telle exigence est absurde. Ainsi, à la limite, un enseignant à qui un élève demanderait, dans le cadre du cours ÉCR, si l’islam ou le bouddhisme est aussi vrai ou légitime que le catholicisme serait tenu de dire qu’il ne peut pas répondre à la question. Puis, quelques heures plus tard, dans le cadre d’un cours sur la foi chrétienne, il expliquerait au même élève que le seul vrai Dieu est celui des chrétiens. Bref, l’exigence de neutralité imposée à des enseignants catholiques les oblige à une sorte de schizophrénie religieuse et morale.

En se pliant à cette politique de neutralité, Loyola se trouverait à violer sa conscience et à reconnaître à l’État le droit de juger celle-ci, ce qu’elle ne peut faire sans trahir sa fidélité à l’Église catholique*.

* Au moment d’aller sous presse, l’école Loyola rendait publique sa décision de faire appel auprès de la Cour suprême du Canada afin de contester le jugement du 4 décembre 2012.

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