De la vie des textes en christianisme et en islam

Mise en ligne de La rédaction, le 24 janvier 2013.

par Marie-Thérèse Urvoy

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 38 / HIVER 2012-2013 ]

Ancien Coran

(Cette conférence de Marie-Thérèse Urvoy a été prononcée à l’Institut Catholique de Toulouse le 29 mai 2012 lors de la parution de son livre Essai de critique littéraire dans le nouveau monde arabo-islamique, Paris, Cerf, 2011).

Présenter son propre livre est un exercice des plus embarrassants. Ce soir, je dois ma présence ici à la pugnacité de mon recteur et à la ténacité de mon doyen qui ont su me convaincre, avec une délicate discrétion, qu’écrire un livre n’est pas nécessairement un acte répréhensible, et aussi que l’on peut écrire avec une entière liberté et conserver ses amis.

Cet exposé est le supplément naturel d’un livre dont le titre actuel n’est ni de moi, ni idoine au contenu, et qui aurait dû être Essai de critique des textes dans le monde arabo-islamique. Au demeurant, il synthétise les principaux axes qui ont occupé ma recherche depuis 1973, année de mon premier contact avec un manuscrit ancien. Ces axes, dans leur diversité, n’en sont pas moins ordonnés au principe même des humanités, auxquelles je demeure très attachée. L’aspect disparate – plus apparent que réel – que j’évoque au début du livre, reflétait chez l’honnête homme de jadis une vision vaste et unifiée du réel, déclassée à l’ère de l’ultra-spécialisation et des logiciels sans âme. C’est la capacité à mettre en perspective ces axes qui exprimait la pertinence du projet scientifique sous-jacent que portaient ces humanités. Cette dimension des choses de l’esprit permettait à l’honnête homme de distinguer le touche-à-tout de l’érudit, et l’érudit du savant cultivé.

Ici, nous porterons un regard synoptique sur la vie des textes en christianisme et en islam. Dans ce titre, il y a «vie» et il y a «texte». Il m’a été donné de connaître quelque intimité des textes; nous regarderons cursivement quelle vie ils ont chez les chrétiens et chez les musulmans.

Dans les études islamologiques contemporaines, un des fleurons les plus prisés s’appelle «la lecture intertextuelle». Elle est inspirée par l’analyse rhétorique des textes sacrés, qui conduit à marquer matériellement la distinction entre l’essentiel et le circonstanciel: l’essentiel est central dans le texte et le circonstanciel est périphérique. De ce procédé, on tire un enchaînement de déductions tantôt techniquement logiques, tantôt improbables. Ainsi, par exemple, à la faveur d’une géométrie variable, on propose une lecture de tel verset coranique de la sourate al-mâ’ida (la Table servie) à la lumière du texte johannique de la Cène; en les normalisant matériellement, on arrive à en unifier le sens et la portée théologique. Pourtant, ce type de comparaison demeure fragile: un certain parallélisme entre les versets ne signifie pas automatiquement, et par nature, intertextualité.
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