Les insuffisances du «bock-cotéisme»: Lettre à ma descendance

Mise en ligne de La rédaction, le 24 janvier 2013.

par Gary Caldwell

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 38 / HIVER 2012-2013 ]

fin de cycle

Xavier Gélinas, dans un numéro récent de la Dorchester Review, distinguait quatre écoles conservatrices dans le Québec contemporain, et le «bock-côtéisme» était l’une d’elles. Il m’incombe donc, en tant que contributeur de l’une des trois autres écoles (celle d’Égards), de me pencher sur ce que Mathieu Bock-Côté dit dans Fin de cycle. Aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012), qui est, je le présume, un recueil représentatif de sa pensée. Mais pourquoi m’adresser à ma descendance: Claire, Vincent, Éric, François, Alexis, Aude et Aimée? Eh bien, c’est qu’ils lisent Bock-Côté (sauf les deux dernières qui sont trop petites), ce qui est la preuve de son succès comme «intellectuel public» dans le meilleur sens du terme; et, à cet égard, je le félicite. D’ailleurs, en plus d’être un «intellectuel public», il est brillant… ce qui n’est pas le fait de tous ceux qui écrivent. Grâce à lui et à d’autres (on pense, par exemple, à Joseph Facal et à Jean-François Lisée) qui s’interrogent sur le sort du Québec, il existe un vrai débat dans l’espace public québécois, ce qui n’est pas le cas de toutes les sociétés contemporaines. L’existence d’un tel discours public est l’une des choses qui fait que cette société mérite d’être conservée. Même si Bock-Côté ne daigne pas inclure Égards dans ce débat, je ne peux que respecter la vigueur, l’intérêt et la pertinence de sa contribution.

Pour ce qui est de la forme de ma critique – une lettre à ma descendance – je me l’autorise parce que le sujet me préoccupe au point où je veux que mes enfants et petits-enfants puissent, à leur tour, accéder à ce débat, y prendre part. Quant à la dimension autobiographique, elle ne devrait pas répugner à Bock-Côté, qui termine son livre par un exposé des sources de son conservatisme.

Originaire de Toronto, j’ai rencontré des Québécois pour la première fois à Varsovie en 1962. Nous étions tous dans la vingtaine, membres d’une délégation d’étudiants canadiens en Pologne. Je fus tellement impressionné par l’envergure intellectuelle, la conscience historique et sociale et la civilité de cette dizaine de Québécois que j’ai décidé de venir étudier à l’Université Laval. Après deux ans à Québec, et pleinement conscient que le Canada français faisait partie de mon patrimoine, j’ai décidé de me joindre à cette société. Subséquemment, j’y ai pris femme et nous avons fondé une famille. Je vis maintenant au Québec depuis cinquante ans, un demi-siècle; je suis donc arrivé presque au début de la Révolution tranquille, c’est-à-dire au début du «cycle» du livre de Mathieu Bock-Côté. Nous nous sommes installés à Ste-Edwidge-de-Clifton dans les Cantons-de-l’Est en 1972, il y a maintenant quarante ans! Je tenais à ce que nos enfants aient une identité canadienne, ce qui aurait été improbable en Ontario (voir Lament for a Nation de George Grant, 1965), et qu’ils puissent s’enraciner… ce qui s’est effectivement produit: ils sont francophones et vivent tous au Québec.
(…)