De l’occultisme à la spiritualité réparatrice : l’itinéraire de Joris-Karl Huysmans

Mise en ligne de La rédaction, le 2 novembre 2012.

par Marie-France James

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 37 / AUTOMNE 2012 ]

Joris-Karl Huysmans

Le présent texte a été rédigé au milieu des années 1980 en prévision d’une conférence jamais dispensée. Il vise à familiariser le lecteur avec un étonnant cheminement de vie. Celui d’un homme de lettres de la fin du XIXe siècle pour qui le contact avec les milieux occultistes de son temps a été l’occasion d’une prise de conscience de la prégnance de la dimension invisible, préternaturelle, voire surnaturelle de la réalité, et, la voie paradoxale vers un retour authentique, en profondeur, à la foi catholique.

Cet itinéraire de vie, actuel sous plusieurs aspects, permet de saisir la complexité des rapports entre l’ésotérisme, l’occultisme et le christianisme et de s’expliquer davantage l’engouement que certains manifestent, en toute bonne foi, pour des questions, rarement abordées, qui rejoignent pourtant les grandes préoccupations humaines et les interrogations fondamentales concernant Dieu, l’homme, la vie, et la nature des êtres et des choses.

La documentation consultée est variée; cependant l’essentiel des citations, sans plus amples précisions, est tiré de l’incontournable Vie de J.K. Huysmans par Robert Baldick (1955, traduction française : Denoël, 1958).

Joris-Karl Huysmans est né à Paris le 5 février 1848. Il est le fils unique d’un peintre miniaturiste et graveur d’images d’origine hollandaise et d’une mère française comptant dans sa lignée un Grand Prix de Rome de sculpture. Malgré que le couple soit peu religieux, l’enfant est baptisé le lendemain de sa naissance. Orphelin de père à neuf ans, sa mère se remarie aussitôt, mais le jeune Huysmans n’allait pas tarder à considérer son beau-père comme un intrus. D’abord placé en internat, il est privé d’affection et devait conserver un assez mauvais souvenir de ses années d’études, qui prirent fin avec ses Humanités.

Vu les nombreux fonctionnaires dans sa famille, il obtient à dix huit ans un poste de subalterne au ministère de l’Intérieur et entreprend, parallèlement, des études de Droit qu’il abandonne assez tôt. Mais fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, il devait le demeurer toute sa vie. Il fréquente alors les milieux bohèmes parisiens, donne à lire ses premiers articles de critique littéraire et, son initiation datant de ses seize ans, rend visite à quelques prostituées. Par la suite, il tente un premier concubinage avec une artiste de bas étage.

Mobilisé à l’occasion de la guerre franco-allemande de 1870, il compose au retour ses premières œuvres littéraires et fréquente les sommités de son temps dans les domaines de la peinture et de la littérature. Baignant dans une ambiance fin de siècle scientiste, positiviste et décadente, similaire à la nôtre, il se situe dans la lignée d’Émile Zola et se cantonne dans le « naturalisme », entendre : la sèche, vulgaire et grotesque description de la vie abrutissante des gens de bas quartier, sans aucune grandeur ni transcendance, ou encore dans la radicale démystification de la morne et sale guerre. Mais Huysmans n’allait pas tarder à saisir les limites de cette approche redondante, stérile, et à prendre conscience de l’impasse où elle ne peut manquer d’aboutir.

Entre temps, il subit ce qu’il dénomme lui-même ses « crises juponnières », où il devient l’esclave de ses besoins compulsifs d’affection et de société féminine : concubinage, fréquentation de prostituées, etc., mais rien n’arrive à le satisfaire; il est désabusé et fortement enclin à la déprime et à la mélancolie. Dans le sillage de Schopenhauer, qui constate que « la vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui », il conclut que, le bonheur n’étant de toute évidence qu’une mélancolique illusion, il n’y a qu’à se laisser porter par le courant… C’est le lieu de signaler que Huysmans était un célibataire endurci, à qui l’idée même du mariage et de ses contraintes faisait horreur, et sa misogynie prenait source dans une insondable, profonde et secrète angoisse. En effet, aux prises avec une hypersensibilité maladive, véritable « écorché vif », les imperfections du monde et les contraintes de la réalité l’affligeaient au plus haut point.

« Torturé par des maux de toute sorte dont la neurasthénie fut peut-être le plus profond et le plus grave, il était anormalement sensible non seulement à la souffrance physique, mais encore aux mille petites misères de la vie quotidienne. Généralement déçu par le contact d’autrui, il trouvait souvent intolérable la compagnie de ses semblables et son esprit était sans cesse tourmenté par la crainte, le doute et le scrupule. »

Tout cela concourait à en faire un pessimiste radical et à endosser le verdict porté sur le monde par Schopenhauer, lui-même influencé par les doctrines orientales, particulièrement le bouddhisme.
(…)

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