Le siècle, les hommes, les idées. Un plat de nouilles (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 10 juillet 2017.

par Friedrich von Platen

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 54/JUIN-AOÛT 2017]

Friedrich von Platen

Friedrich von Platen

Si un moraliste s’avisait d’écrire un Catalogue raisonné de la nouille, par pays et par époque, il lui faudrait, pour réaliser son ouvrage, la force d’Héraclès, la finesse de Socrate, l’ambition d’Alexandre, l’imagination d’Horace, la foi de saint Paul, le style de Shakespeare et la constitution d’Ernst Jünger. Ce serait un livre fabuleux, et de quelle utilité! À quoi ressemblerait ce monument? Peut-être à ceci: «La nouille chinoise était plus tendre du temps de Confucius; avec les siècles elle s’est durcie considérablement, oubliée par malheur sur la table. Telle est l’origine de la nouille maoïste.» Ou bien : «De George III jusqu’à Victoria, la nouille anglaise était croquante, mais épicée; depuis Édouard VII, elle a gardé son croquant, mais elle n’a plus de goût.» Ou encore: «Qu’on remonte jusqu’à Luther si l’on veut: la nouille germanique a toujours été trop chaude ou trop froide.» Ou même: «La nouille québécoise, somme toute assez jeune, est généralement trop cuite, gonflée, pâteuse. Personne n’a surveillé la casserole de la Révolution tranquille, et voilà le résultat.»

Il n’est pas rare qu’une nouille québécoise, pour se rendre attrayante, se badigeonne de sauce journalistique ou sociologique – quand elle ne combine pas les deux ! Une cantine qu’il est inutile de nommer offrait dernièrement à sa clientèle une recette de ce genre, baptisée «Des radicaux aussi chez les catholiques». Les connaisseurs devineront que c’est du réchauffé… qui était déjà trop cuit! Voici le plat: deux terribles videurs de questions, la journaliste Lisa-Marie Gervais et le professeur de sociologie Martin Geoffroy, s’associent pour dévoiler «le côté sombre de la force de notre propre culture [sic]» ou, pour parler français, ces désosseurs de l’actualité s’emparent de l’attentat de la mosquée de Québec pour révéler au monde que nous avons «nos propres terroristes»: les «intégristes catholiques». «On n’hésite pas à associer les attentats terroristes au groupe État islamique et à l’intégrisme religieux, mais quand ça émane de notre propre culture, c’est plus difficile à reconnaître [sic] », tranche l’incomparable professeur Geoffroy, avant de proposer cette énigme: «En ce qui concerne les morts, c’est 6 à 2 pour les intégristes catholiques». Faut-il comprendre que le terrorisme est un sport de compétition?… Il y a du mystagogue chez ce Geoffroy.

Revenons à «nos» terroristes. Ils se cacheraient au sein de l’Opus Dei, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, des Soldats d’Odin, traîneraient dans les sacristies, les sous-sols d’églises, les séminaires, les festivals country, les clubs de tir, les tavernes et les épluchettes de blé d’inde. Ces «extrémistes» de l’Évangile, «antisémites, antiislam, anti-immigration», des « pro-Trump et pro-Le Pen» aveuglés, surentraînés et financés, formeraient, de Sainte-Anne-de-la-Pocatière à Rawdon, un véritable commando de «complotistes», sur le point de renverser la «société moderne»*. L’avertissement vaut d’être médité. Dimanche dernier, à la messe, j’étais frappé de la vigueur des trente paroissiens de soixante-dix-huit ans qui m’encerclaient, les yeux mi-clos, le dos voûté, la canne à la main, la voix chevrotante. Voilà de quoi occuper la GRC, la Sécurité publique et la Défense nationale.

Lisa-Marie Gervais insiste: «Ces intégrismes bien de chez nous passent sous le radar des médias alors qu’ils vont pourtant à l’encontre des valeurs de la société moderne». Ce n’est pas en torturant la grammaire qu’on lui arrache des aveux… Martin Geoffroy insiste lui aussi, tout suant de ses découvertes: «C’est toujours plus facile de blâmer la culture de l’autre plutôt que de regarder notre propre culture. Mais l’intégrisme catholique, tout comme l’intégrisme islamique, a aussi un rôle à jouer dans le terrorisme ». Que le vent soit du nord-nord-ouest ou du sud, ce donneur de leçons ne distingue pas plus un faucon d’un héron. Lisa, Marie, Martin – trois têtes! –et pas une idée sensée! Des Don Quichottes sans moulins! Il faut bien un expert en «radicalisation» pour conclure qu’Alexandre Bissonnette, l’auteur présumé de la tuerie de Québec, est «un terroriste comme les autres». Ce que cela veut dire – si cela veut dire quelque chose –, lui seul le sait. Quant à moi, j’aurai appris que ce professeur de sociologie est un imbécile… comme les autres.

«Les idées générales qu’on vend sur la place publique ne nourrissent personne, mais nombreux sont ceux qui en vivent», écrivait Nicolás Gómez Dávila. Il y a des nouilles qui provoquent la nausée, comme Alain Naud et Patrick Lagacé. Avec des nouilles comme Lisa-Marie Gervais et Martin Geoffroy, on est sûr de crever de faim.

* Selon Internet, précise notre dynamique duo.

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