Le siècle, les hommes, les idées. La paix de l’esprit : une illusion (texte intégral)

Mise en ligne de La rédaction, le 5 mars 2015.

par Monique David

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 46 / FÉVRIER-AVRIL HIVER 2015 ]

La réprobation de Caïn

Une version abrégée de cet article est parue dans le National Post du 29 octobre 2014.

Depuis le début des audiences portées en appel par l’Association canadienne des libertés civiles de la Colombie-Britannique à la Cour suprême du Canada au sujet du suicide assisté, plusieurs chroniqueurs ont partagé leurs opinions sur la question.

Trois mots clés sont constamment invoqués par les partisans du suicide assisté pour justifier leurs prétentions: contrôle, autonomie, dignité. J’aurais souhaité toutefois que ces gens expliquent davantage en quoi ces valeurs seraient mieux protégées par l’introduction d’une législation sur le suicide assisté.

En effet, les opposants à cette législation peuvent invoquer les mêmes valeurs pour la combattre. Qui ne souhaite pas garder le contrôle sur sa vie et exercer son libre arbitre? Qui répondrait «non» si on lui demandait: «Voulez-vous mourir dans la dignité?»

Les deux camps s’interrogent: à quel point peut-on intervenir dans la vie d’autrui? Pour les uns, la question est claire depuis l’aube des temps. Enlever la vie à un être humain est un homicide. Pour les autres, et je cite un chroniqueur: «Ce n’est qu’un tabou à surmonter avec plus de nuances à l’approche de la fin de vie, et non une vieille interdiction dans l’absolu.»

Marie de Hennezel, psychologue française et auteur de Nous voulons tous mourir dans la dignité, déclare que des médecins et des infirmières ayant pratiqué des euthanasies lui ont confié qu’ils étaient restés longtemps hantés par des cauchemars où leur apparaissait le dernier regard de leurs patients. Plusieurs d’entre eux ont souffert de dépression à la suite d’une euthanasie. Et il ne s’agit pas d’un «tabou à surmonter», mais d’un lien avec le réel, d’un rapport à la vie : voilà l’origine des crises existentielles éprouvées par ceux qui administrent la substance létale à des patients.

Depuis le début des discussions sur l’euthanasie et le suicide assisté au Québec, je soutiens qu’une législation dans ce domaine ne va en rien dissiper la peur de la souffrance.

Une image me revient constamment en tête et si je pouvais la dessiner, on verrait une personne en pleine santé portant un cathéter prêt à recevoir une substance intraveineuse. À partir du moment où cette personne projette d’avoir éventuellement recours au suicide assisté, la substance s’infiltre progressivement dans son organisme: ce sont des doses d’anxiété vis-à-vis de sa propre mort, chaque goutte lui rappelant le fardeau de son choix.

Un chroniqueur précise: «Si les choses deviennent vraiment insupportables, l’option demeure possible afin que notre précieux contrôle ne soit pas nié au moment le plus important de notre vie.» Comment peut-on être aussi certain qu’une législation permettant le suicide assisté procurerait un soulagement pour tous au lieu du contraire?

Au lieu de prévenir ou de diminuer la souffrance au moment où elle survient, cette législation, avec son aura désespérante et son imagerie mentale, provoquera crainte et angoisse, en suggérant souvent des conditions pires que la réalité.

Les psychologues reconnaissent depuis longtemps l’extraordinaire capacité de l’être humain à faire face à l’adversité. Cela explique peut-être pourquoi la majorité des plus farouches défenseurs de cette législation sont non pas des personnes souffrantes, mais des personnes en pleine santé.

Non satisfaits de leur choix personnel, certains tenants de l’euthanasie exigent que ce «contrôle» soit exercé par la société civile, l’institution médicale, l’État. Un commentateur écrit : «Nous sommes horrifiés à l’idée que nos proches puissent ne pas avoir la liberté – le contrôle – que nous voulons pour nous-mêmes.» Un autre va encore plus loin : «Ce ne sera plus un acte stigmatisé d’aberrance voulu par un individu, mais un acte légitime engageant toute la société.»

Avec cette logique, il est facile d’imaginer le scénario suivant: «Mon cher, je sais que tu n’as pas d’objections contre le suicide assisté: serais-tu assez aimable pour venir chez moi ce soir etm’aider à me suicider?»

Si les médecins et les infirmières sont tourmentés à l’idée d’euthanasier des patients avec qui ils n’ont en général aucun lien personnel ou affectif, imaginons l’impact d’un tel acte sur les parents, les enfants et les amis, s’ils devaient être ainsi sollicités. Le pouvoir de choisir le suicide assisté ne procure aucunement la paix de l’esprit. Dans les faits, cela amenuise notre capacité à jouir de la vie dans les bons moments et minimise notre volonté de surmonter les épreuves dans les moments difficiles.

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