Notes de lecture. Alexandre Soljénitsyne, La Confiture d’abricots et autres «récits en deux parties»

Mise en ligne de La rédaction, le 16 février 2014.

Notes de lecture. Alexandre Soljénitsyne, La Confiture d’abricots et autres «récits en deux parties» , traduits du russe par Geneviève et José Johannet, Lucile Nivat, Nikita Struve, Paris, Fayard, 2012

par André Désilets

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 42 / HIVER 2013-2014 ]

Alexandre Soljénitsyne

«La lumière luit dans les ténèbres», dit le prologue de saint Jean (Jn I, 5), et les ténèbres désignent l’enfer où peut s’enclore la condition humaine. Or il est des hommes, très rares, dont le destin bouleverse l’histoire. Alexandre Soljénitsyne est de ceux-là. Écrivain et historien, il est témoin de la conscience, de la foi et de la mémoire. C’est dire qu’à ses yeux, l’homme n’est pas neutre, objectif. Il est une limite toujours mouvante entre les ténèbres démoniaques et la lumière qui vient d’»une source plus pure que le soleil», écrit-il dans Le Premier Cercle. Au fond, l’horreur de la guerre, comme celle des camps ou d’une grave maladie, accule au choix, au seul choix qui compte, car elle dénude à la fois la mort et la liberté. Pour notre auteur, ce choix transforme l’épreuve en ascèse au sens fort d’un combat pour l’essentiel. Aussi «Soljénitsyne le résistant», dirons-nous avec Jean Renaud, cherche-t-il à comprendre son pays, son époque, l’énigme de l’histoire, le mystère de l’homme. Et dans cette optique, il évoque sans cesse ces hommes de devoir ou de fidélité, pour qui la conscience et le respect des autres dépassent l’instinct de conservation ou la recherche du plaisir. N’oublions pas que si l’œuvre de Soljénitsyne demeure édifiante, c’est parce qu’elle triomphe du nihilisme qui, en Russie, n’a pas été littérature, mais histoire. Et la conclusion de l’écrivain s’adresse à tous, à nous: la civilisation moderne et ses prétentions idolâtres, en empêchant la transmission aux jeunes de toute culture spirituelle, risque, malgré les efforts pour diffuser l’instruction publique, d’engendrer la plus agressive barbarie: «En vérité, ils se retourneront un beau jour et nous piétinerons tous! Et ceux qui les ont ameutés, ceux-là aussi, ils les piétineront!» Car les pathologies politiques ne trouvent de solution que dans la tragédie historique. De plus en plus de jeunes intellos proclament avec conviction: «En avant! Profitons du temps qui passe. La mort n’est rien. Le diable n’existe pas. Tout le monde doit mourir». La logique est implacable. Certains de nos «pieds plats de l’esprit» (Nietzsche) citent Épicure: «Tant que nous vivons, la mort n’est qu’un mot, elle n’est pas là; et quand nous mourons, c’est nous qui ne sommes plus là!» Comme le signale Christine Sourgins (Les mirages de l’art contemporain), nous assistons à l’émergence d’une vision du monde «où la vie est un processus de corruption, et où la mort, corruption absolue, devient donc l’absolu de la vie». Et la plupart de nos contemporains ne remarquent même pas que c’est à partir de ce genre de logique que l’on procède à l’angélisation de l’euthanasie dans les pays dits «développés».
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