Notes de lecture. Nicolas Berdiaev, Serge Boulgakov, Mikhaïl Guershenzon, Alexandre Izgoev, Bohdan Kistiakovski, Piotr Struve et Simon Frank, Jalons

Mise en ligne de La rédaction, le 2 novembre 2012.

Nicolas Berdiaev, Serge Boulgakov, Mikhaïl Guershenzon, Alexandre Izgoev, Bohdan Kistiakovski, Piotr Struve et Simon Frank, Jalons, traduit du russe par Claire Vajou, introduction de Françoise Thom et postface de Stéphane Courtois, Paris, Cerf, 2011

par André Désilets

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 37 / AUTOMNE 2012 ]

Nicolas Berdiaev

Qui, parmi nous, connaît le recueil d’articles Vekhi (Jalons, publié pour la première fois en traduction française), un recueil qui déchaîna la presse progressiste russe en 1909, et que la presse québécoise d’aujourd’hui n’hésiterait pas à condamner, ne serait-ce que parce que les auteurs brossent un tableau particulièrement sombre d’une jeunesse qui, pour reprendre les termes de l’historienne Françoise Thom, ressemble étrangement à la nôtre : « même inculture, même ignorance de la vie de l’esprit, même approche utilitariste, mêmes rêveries humanitaires, même millénarisme (sous la forme du réchauffement climatique), même rejet de la transcendance, même refus de la discipline, du travail bien fait et de la famille».

Reconnaissons, avec le théologien Serge Boulgakov et, plus près de nous, le cinéaste Federico Fellini, que le culte des jeunes est « l’indice de la faiblesse spirituelle d’une société ». Les observateurs politiques le savent : toute démagogie commence par une célébration de la « jeunesse étudiante ». C’est à elle, de Staline à Hitler et à Mao, en passant par Hô Chi Minh, Pol Pot et Kim Jong-Il, que les totalitarismes en appellent. Pour l’immense majorité d’entre nous comme pour ceux qui nous ont précédés dans l’aventure révolutionnaire – l’esprit révolutionnaire est au cœur de la modernité, disait Stéphane Courtois à la suite de Jean Renaud −, il s’agit d’en finir avec les « ténèbres » du passé et de bénir l’aube nouvelle : l’homme « remodelé », la société égalitaire, le paradis socialiste. Au fond, l’homme moderne veut transformer la promesse du Serpent de la Genèse – « Vous serez comme des dieux » − en un programme à réaliser. Du coup, un enthousiasme fou, une pensée unique, des études prometteuses, des chansons populaires, des discours enflammés, des déclamations sublimes s’entremêlent… comme si le rêve pouvait se substituer à la réalité sans engendrer la confusion, l’ensauvagement, la négation, le cauchemar.

À ce chapitre, Vekhi représente une véritable tentative d’anatomie de l’obscurantisme moderne et de ses manifestations. Trop souvent, nous oublions que pour l’intelligentsia occidentale, cette élite qui garde la haute main sur l’opinion publique, le communisme constitue le stade suprême de la démocratie ! Tel est l’art de « penser socialiste », dira Jean-François Revel, un art à la mode, mais qui tient de la perfidie la plus dégradante. Car il nie l’esprit, qui est liberté.
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