La couronne invisible : Essai sur la constitution canadienne

Mise en ligne de La rédaction, le 2 novembre 2012.

par Francine Dupras et Jean-Marc Rufiange

[ EXTRAITS DU NUMÉRO 37 / AUTOMNE 2012 ]

L'étendard royal du Canada

Le 14 avril 2011, lors du débat télévisé en français des chefs de partis politiques canadiens, quelque chose de remarquable s’est produit. Le fait, cependant, est passé pratiquement inaperçu. Les adversaires en présence, toutes orientations confondues, se sont empressés d’en relativiser l’importance en passant outre, comme s’il s’agissait d’une simple tactique électoraliste. Il n’en a même pas été question dans les médias. Pourtant, il y a des réalités qui transcendent les intérêts partisans.

Parmi les quatre chefs, trois ont évoqué leurs « racines » québécoises. Celles de Gilles Duceppe, alors au Bloc Québécois, étaient évidentes. Jack Layton, bien qu’il fut candidat en Ontario, rappela avec enthousiasme qu’il était né et avait grandi au Québec; il a d’ailleurs déjà confié à la presse que son élection à la tête du Nouveau Parti démocratique tenait pour beaucoup à ses origines québécoises. Même le chef du Parti libéral d’alors, Michael Ignatieff, un autre Ontarien, candidat dans une circonscription de Toronto, a manifesté son attachement au Québec, entre autres parce que ses grands-parents sont enterrés dans les Cantons-de-l’Est. Il n’y a que Stephen J. Harper qui ne se soit réclamé du terreau québécois. Né en Ontario, il est député d’un comté de l’Alberta. Et c’est lui qui a dit la chose la plus remarquable. Elle est à ce point remarquable qu’elle a pu non seulement irriter les Anglo-Saxons mais déboussoler les nationalistes québécois radicaux : « Je suis très fier de parler la langue fondatrice de ce pays, je suis très fier de parler le français, même à la Maison Blanche », a-t-il affirmé lors du débat.

Le français, langue fondatrice de ce pays ? De quel pays parle-t-il ? Du Canada ? Mais de quel Canada ?

Le Canada de 1982, celui de Pierre Elliott Trudeau, a deux langues officielles, mais comme le Québec n’a pas signé la Constitution, ce Canada semble condamné à une polarisation idéologique sans issue entre le Québec « francophone » et le ROC (Rest of Canada) « anglophone ». Quant au Canada de 1867, même en tenant compte de l’apport indéniable et inaliénable de George-Étienne Cartier et du leadership que celui-ci a exercé en collaboration avec John A. MacDonald (un autre Ontarien), il reste qu’il a été fondé en anglais. Pour retrouver le français comme langue fondatrice du Canada, il faut remonter avant la Confédération et même avant la Conquête. Stephen J. Harper a confirmé dans ses propos du 14 avril que c’était bien ce qu’il avait en tête : « Ce pays a été fondé en français par des francophones qui avaient une vision d’un grand pays à travers le continent, au nord du continent américain, du continent nord-américain ». Et ce n’était pas la première fois qu’il soulignait cette particularité canadienne.
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